Pour Xerfi Canal, Jacques Barraux, journaliste indépendant, nous explique pourquoi nous sommes arrivés à une période où les conglomérats sont de retour, en prenant pour exemple concrets les cas Google et Berkshire Hathaway.
"C’était il y a cinquante ans. Les premiers bourgeons de contre-culture apparaissaient sur les pelouses des campus californiens. Les aînés de la toute proche génération Apple portaient des cheveux longs et ne rêvaient pas de faire carrière chez General Motors. Ils avaient une tête de turc, un homme qui accumulait à leurs yeux tous les défauts du système : Harold Geneen, le patron à poigne de fer de la multinationale ITT. Parti à la conquête du marché mondial du téléphone, Geneen en avait profité pour transformer son entreprise en conglomérat multi-métiers. Des entreprises d’électronique, des compagnies d’assurances, les hôtels Sheraton, le loueur auto Avis etc., au total 350 rachats dans 80 pays. A la tête de l’empire, un autocrate qui passait sa vie en avion en bloquant sa montre à l’heure de New-York. Un solitaire qui transmettait ses décrets de manager universel à une centaine de proconsuls en chemise blanche et qui annotait chaque mois 2500 pages de reportings…
Le temps a passé. L’empire ITT s’est disloqué aussi vite qu’il avait grandi. Mais les traits caricaturaux du « modèle Geneen » et les révélations sur les implications du groupe dans les manœuvres de la CIA en Amérique du Sud n’allaient pas améliorer l’image des conglomérats, tant à la Bourse que dans les business schools. Une image restée constamment négative à de rares exceptions près comme celle de General Electric sous le règne de Jack Welch dans les années 80-90. Les investisseurs, les analystes et les auteurs de manuels de stratégie n’ont jamais cessé d’opposer les vertus des « pure players » aux vices cachés des coalitions multi-métiers. Les lourdeurs et les compromissions des colosses d’Asie ou d’Amérique latine les confortaient dans leur opinion.
Cette période est en train de s’achever. Deux entreprises au sommet des valorisations boursières symbolisent un retour en grâce des groupes diversifiés.
Le premier cas est celui de Google. Le groupe a décidé de se redéployer à l’ombre d’un holding baptisé Alphabet. Argument : la révolution numérique et le bond en avant des sciences de la vie détruisent les vieilles frontières entre les disciplines, les technologies, et par ricochet, entre les métiers, les secteurs et les marchés. Alphabet regroupe des entreprises opérant dans l’information, les loisirs, la santé ou les transports du futur. Dans quelques années, de nouvelles frontières redessineront la géographie du business. De nouvelles stratégies verront le jour. Le conglomérat est un modèle adapté aux périodes de grandes transitions sectorielles.
Le deuxième cas est celui de Berkshire Hathaway, le holding de l’investisseur Warren Buffett. Au fil de multiples rachats d’entreprises dans des secteurs traditionnels, ce qui avait été longtemps perçu comme une simple addition d’habiles placements financiers prend peu à peu l’allure d’un conglomérat d’entreprises soumises à une même – et stricte - discipline stratégique et organisationnelle. Berkshire Hathaway réussit avec quelques dizaines de salariés à fédérer ce que Harold Geneen ne parvenait pas à maîtriser avec ses méthodes intrusives.
Google et Berkshire Hathaway ne sont que les têtes d’affiche de deux mouvements largement entamés aux Etats-Unis dans l’univers GAFA et en Europe dans l’immense gisement des entreprises non cotées. Une jeune génération d’industriels pragmatiques, indépendants des fonds et des sociétés de capital-risque, testent des couplages inédits de métiers. De simple – et médiocre - outil de partage des risques financiers de l’entreprise – le conglomérat devient un moyen de bâtir une offre future ou de valoriser une culture d’entreprise. Les temps changent. La malédiction Geneen est levée."
Publié le jeudi 15 octobre 2015 . 4 min. 29
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