Travailler avec ses concurrents. Telle est la signification de la « coopétition », contraction des mots « coopération » et « compétition ». Popularisé par les américains Nalebuff et Brandenburger dans le livre « co-opetition » publié en 1996, ce néologisme décrit une relation de coopération stratégique entre des entreprises qui sont dans le même temps en concurrence.
Airbus et Boeing, en concurrence frontale dans la construction aérospatiale, partagent en vérité de nombreux fournisseurs et composants. Il faut bien sûr citer aussi l’exemple de Samsung et Apple, rivaux dans la conception et la vente de smartphones, mais partageant plusieurs maillons de la chaîne de valeur dont la fourniture de composants. C’est le cas également de distributeurs comme Monoprix et BioC’Bon lorsqu’ils se référencent sur Amazon Prime Now pour vendre leurs produits et surtout les livrer en express alors que le client trouve des produits similaires sur la boutique en ligne d’Amazon.
La notion de coopétition renvoie d’ailleurs à la théorie des jeux. Il existe en effet de nombreuses situations dans lesquelles des firmes rivales ont un intérêt à coopérer dans un jeu gagnant-gagnant :
• C’est le cas lorsqu’elles recherchent des complémentarités technologiques ou veulent mutualiser certaines dépenses de développement comme c’est le cas souvent dans les domaines émergents.
• C’est le cas également quand les entreprises sont confrontées à un raccourcissement du cycle de vie des produits et donc à l’exigence de rentabiliser plus vite les investissements tout en réduisant les risques.
• Enfin, une troisième incitation à la coopétition est à chercher du côté des stratégies de standardisation. En effet, la constitution d’alliances opportunistes entre des acteurs influents, mais néanmoins concurrents, est un atout majeur dans la guerre pour imposer des normes et standards à l’échelle mondiale.
La coopétition doit donc être perçue comme la convergence transitoire d’intérêts stratégiques. Transitoire seulement car un tel partenariat ne dure que tant que chaque partie y trouve son intérêt. Or, il n’est pas rare qu’un coopétiteur finisse par tirer la couverture à lui afin de capturer la valeur créée par l’ensemble des parties prenantes. En outre, les transferts de compétences et de ressources indispensables à la coopétition peuvent renforcer la compétitivité de long terme de la firme la moins coopérative. Bref, il y a toujours des passagers clandestins dans les systèmes coopétitifs. Que l’on songe à Nummi, joint-venture née de l’alliance de General Motors et de Toyota, pour s’en convaincre. De 1984 à 2010, ce partenariat de circonstance masquait en fait un jeu de dupes où chacun des acteurs cherchait à renforcer sa compétitivité vis-à-vis de l’autre : General Motors en voulant apprendre le fameux « Toyota Production System » pour mieux l’intégrer à ses propres chaînes de production, Toyota en profitant de cette alliance pour pénétrer rapidement le marché américain. L’usine Nummi a fermé ses portes en 2010 pour ensuite être rachetée par Tesla.
Le risque de pillage inhérent aux stratégies de coopétition exige en conséquence un management efficace et suspicieux. Des précautions juridiques sont en effet indispensables pour protéger la propriété intellectuelle de chaque partenaire, et prévoir le juste partage des fruits du co-développement, notamment en matière de brevets. Des questions d’organisation se posent également : dans le cadre d’une coopétition externalisée, qui sera le pilote de la joint-venture ? A contrario, si la coopétition est internalisée, comment manager des équipes issues de firmes concurrentes ?
La coopétition exige donc un savoir-faire managérial sophistiqué. Une stratégie dans laquelle s’engage pourtant un nombre croissant de firmes multinationales mais aussi de PME pour relever les défis posés par des nouveaux domaines en mutation rapide comme la voiture connectée, le moteur électrique, le smart building, la blockchain ou la e-santé.
Publié le lundi 20 mai 2019 . 4 min. 13
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