S’accrocher à la chaîne de valeur de Michael Porter aujourd'hui, c’est tenter de résoudre les enjeux actuels avec des théories mécaniques et linéaires d'une autre époque. Ce modèle, conçu dans un contexte de production de masse et de stabilité industrielle apparaît désormais comme une approche dépassée.
D’abord, la dynamique des réseaux a dynamité le concept même d’une chaîne de valeur. Le modèle de Porter conçoit la création de valeur comme une séquence linéaire. Mais dans le monde moderne, les flux sont tout sauf simples et prévisibles. Dans The Great Convergence (édité en 2016), Richard Baldwin explique que les chaînes de valeur mondiales sont devenues infiniment plus complexes, avec des réseaux d'approvisionnement interconnectés à travers le globe, et où l'impact des décisions se fait sentir de manière imprévisible à tous les niveaux. Les entreprises contemporaines évoluent dans un écosystème en mouvement constant, loin de la linéarité de Porter.
La notion rigide de chaîne de valeur est également remise en cause par le besoin permanent de flexibilité et d’adaptabilité. Dans Digital Vortex (paru en 2016), Michael Wade et ses co-auteurs montrent que la disruption numérique exige une adaptabilité sans précédent. Les entreprises doivent être capables de pivoter rapidement, en réorganisant non pas une simple chaîne, mais un réseau de partenaires, fournisseurs et clients. Ce que Porter ne pouvait pas anticiper, c’est l’apparition des plateformes numériques, où les flux d’informations et de valeurs ne suivent plus un schéma prévisible. Des entreprises comme Uber ou Airbnb en sont l’exemple parfait : elles créent de la valeur non pas via une chaîne, mais en orchestrant un écosystème ouvert et collaboratif.
Et puis, les consommateurs sont désormais les nouveaux acteurs de la valeur. Prahalad et Ramaswamy, dans The Future of Competition (sorti en 2004), avaient déjà anticipé que les consommateurs allaient jouer un rôle crucial dans la co-création de valeur. Aujourd'hui, avec l’importance des médias sociaux et des plateformes numériques, cette réalité est encore plus forte. Les clients influencent directement la production, le marketing et même la distribution, défiant ainsi l’idée que la création de valeur se fait exclusivement au sein de l’entreprise.
La chaîne de valeur de Porter reste certes une étape importante de la littérature stratégique, qui conserve une vertu pédagogique. Mais le monde de demain se construit autour de réseaux, d’écosystèmes et d’interactions fluides. Croire encore en une chaîne linéaire et stable revient à ignorer les réalités d’un monde interconnecté, dynamique et incertain.
Publié le jeudi 24 octobre 2024 . 3 min. 05
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de Philippe Gattet
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