Le ROI, return on investment (ou retour sur investissement en bon français), est souvent présenté comme l’une des pierres angulaires de la prise de décision stratégique, surtout dans le monde de la finance. Pourtant, cet indicateur soulève de nombreuses critiques. De fait, le ROI, loin d’être un outil neutre, peut fausser la vision des dirigeants en orientant les décisions vers des solutions court-termistes et trompeuses.
Le ROI privilégie en effet les résultats financiers rapides. Or, comme le souligne Clayton Christensen dans The Innovator's Dilemma, les innovations les plus porteuses à long terme, celles qui transforment les industries, ont souvent des retours sur investissement lointains. Trop lointains pour intéresser les décideurs obsédés par des résultats rapides. Cette approche court-termiste pousse à négliger les projets disruptifs au profit de ceux qui rapportent immédiatement, mais épuisent les opportunités futures. À trop chercher à optimiser le ROI, les entreprises pourraient bien se condamner à stagner face à l’évolution des marchés.
Un autre problème majeur du ROI est son incapacité à prendre en compte ce qui ne se mesure pas aisément. Kaplan et Norton, dans leur ouvrage sur le Balanced Scorecard, ont justement démontré que la performance durable repose sur des éléments intangibles comme l’image de marque, l’engagement des employés, la satisfaction des clients ou l’impact environnemental. Ces facteurs, pourtant cruciaux, sont ignorés par le ROI. Cet indicateur, centré sur le chiffre, exclut tout ce qui n’est pas directement quantifiable, et incite ainsi à négliger des actifs immatériels pourtant essentiels à la survie d’une entreprise.
Et puis, la fiabilité des calculs de ROI peut être fragile. Daniel Kahneman et Amos Tversky, dans leurs travaux sur la théorie des perspectives, ont mis en lumière les biais cognitifs qui influencent nos décisions. Le ROI, pourtant perçu comme un chiffre froid et rigoureux, est souvent fondé sur des projections optimistes et incertaines. Les hypothèses sous-jacentes aux calculs peuvent être biaisées, menant à une perception erronée de la rentabilité réelle d’un projet. Cela donne une illusion de contrôle, alors qu’en réalité, les dirigeants se basent sur des données biaisées.
Enfin, le ROI occulte les risques et les incertitudes. Comme le rappelle Rita McGrath dans The End of Competitive Advantage, dans des environnements dynamiques, les avantages concurrentiels sont éphémères. En s’appuyant exclusivement sur le ROI, les entreprises prennent le risque d’ignorer les incertitudes qui entourent leurs décisions. Deux projets au même ROI peuvent mener à des résultats opposés, simplement parce que l’un d’entre eux cache des risques que la froideur des chiffres et du calcul ne reflète pas.
Publié le vendredi 04 octobre 2024 . 3 min. 22
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