« Un psychodrame à la française » titrait les journaux à la suite de l’annonce d’un projet de Total de faire de Wall Street sa principale cotation. « Après tout ce qu’on a fait pour vous » aurait dit le président de la république au patron de Total devant un parterre de dirigeants du CAC40. Le projet est depuis amendé.
Sanofi veut vendre sa filiale qui produit le Doliprane à un fond américain ? Cela engendre un tollé politique pour demander à l’Etat d’empêcher cela.
Mais quelle est la relation entre ces entreprises, multinationales, et l’Etat français ?
A première vue, il n’y en a pas, ou peu. La plupart d’entre elles n’ont d’ailleurs aucune participation de l’Etat français, voire l’essentiel de leurs actionnaires ne sont pas français. Les entreprises sont de droit privé, répondent à des codes qui relèvent du fonctionnement du marché ; elles n’ont pas d’objet politique, au sein grec du terme, mais doivent faire des profits pour assurer leur développement et leur survie. Certaines d’ailleurs revendiquent un caractère apatride, et demandent à l’Etat de les laisser tranquilles… et pourtant.
TotalEnergies a un prix plafond pour la distribution d’essence en France. Carrefour se serait fait absorber par le canadien Couche-tard sans le veto de l’Etat. Les exemples sont légion de ce lien, parfois ambigu, qui lie le politique et l’économique.
Décortiquons cette relation. Elle repose au moins sur trois traits majeurs :
1- Le caractère stratégique d’une activité pour la souveraineté d’une Nation.
2- Le développement du rayonnement d’un pays, via ses entreprises
3- L’affectio societatis qui lie une nation avec certaines de ses entreprises
Le caractère stratégique tout d’abord. Les Etats ont progressivement, notamment depuis la fin de la guerre froide, définit des listes d’entreprises dites stratégiques. C’est l’accès à des ressources ou des produits essentiels à l’existence de ce qui fait nation, comme l’énergie, les vaccins, ou encore certains aliments, qui génère une relation particulière avec le politique. La liste de ces secteurs dépend d’ailleurs des choix qui sont faits par les différents Etats de ce qui fonde la sécurité de ses citoyens.
Le rôle d’une entreprise dans l’influence et le rayonnement d’une nation est une deuxième dimension essentielle pour caractériser la nature politique d’une entreprise. Canal+ participe via sa plateforme à déployer l’univers culturel français en permettant la distribution à l’étranger de séries ou de films en langue française.
L’affectio societatis enfin, par exemple par les dirigeants, par les produits ou services qui sont délivrés, ou encore par les emplois qu’une entreprise génère sur le sol national. Polytechniciens ou énarques, les dirigeants de certaines entreprises sont historiquement issus des mêmes études que certains hauts fonctionnaires de l’appareil d’Etat.
En conclusion, la séparation entre le politique et l’économique est un leurre. L’un a besoin de l’autre et vice-versa, c’est d’autant plus vrai en période d’incertitudes géopolitiques. Et d’autres puissances, qui ont des formes politiques plus autoritaires, comme la Chine ou la Russie, nous le rappellent bien.
Bibliographie
Dameron, S. & Very, P. 2018. Stratégie, information et diplomaties stratégiques : convergences et enjeux, Finance Contrôle Stratégie. septembre
Dussauge P., & Ramanantsoa, B. 1984. Les multinationales: champions nationaux ou citoyens du monde ? Une question d’identité. Revue Française de Gestion. Septembre-octobre.
Publié le mardi 22 octobre 2024 . 3 min. 42
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de Stéphanie Dameron
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