Locavorisme, circuit court, ventes directes, commerce de proximité… la crise de la covid-19 semble avoir redonné l’avantage au petit commerce. Mais méfions-nous des apparences. En fait, il n’en est rien et la contre-offensive est déjà en marche. Les primeurs, les bouchers, les poissonniers ont tous pourtant bien connu une année 2020 exceptionnelle avec à la clé une hausse de leurs ventes comprises entre 7 et 15% quand de son côté le chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires a stagné.
Un choc violent mais transitoire sur les grands formats
Le raccourci s’impose de lui-même : la mise entre parenthèses de la restauration hors foyers avec la fermeture des établissements, puis leur réouverture sous fortes contraintes sanitaires, a entraîné des reports de consommation vers le domicile profitable au petit commerce, mais pas aux grandes enseignes, un changement de cap des habitudes d’achat irréversible pour certains. Cette lecture brute des chiffres est en fait totalement biaisée. Le recul de la grande distribution est en effet à re-contextualiser et à préciser. Le contexte c’est celui de la baisse de la fréquentation des grandes surfaces liée à la fermeture des centres commerciaux, mais aussi à la limitation des autorisations de mouvement de la population notamment très préjudiciable aux hypermarchés majoritairement localisés en périphérie des villes. Le choc est violent, mais transitoire.
Quant à la faiblesse du chiffre d’affaires, elle se concentre sur les rayons dits non essentiels qui ont été mis sous cloche avec les restrictions sanitaires et plus encore par l’effondrement des ventes de carburants consécutif à la chute des déplacements motorisés. De leur côté, les ventes des produits de grande consommation (alimentaire, droguerie et produits d’hygiène) sont en hausse de plus de 6%.
Les discounteurs, grands gagnants de la crise sanitaire
Mais il faut aller plus loin encore, car les grandes enseignes ne sont pas uniquement présentes sur les plus grands formats, mais aussi sur ceux plus réduits des commerces de proximité comme les supérettes. Un segment quasiment exclusivement axé sur les produits de grande consommation dont les ventes ont bondi de près de 9% l’année dernière.
Et parmi les grands gagnants : les discounteurs. Les chiffres d’affaires de Lidl et d’Aldi ont ainsi bondi respectivement de 16 et 12% entre mars 2020 et mars 2021 et les deux enseignes d’origine allemande ont connu un début d’année en fanfare, si bien que le discount représente désormais 11% en valeur et 15% en volume du marché alimentaire français. Ce succès a poussé les autres distributeurs à vivement réagir. Leclerc a, par exemple, lancé son panier de 21 repas à 21 euros tandis que Système U a relancé une offre de produits d'entrée de gamme. Les rayons discount au sein même des grandes surfaces s’étendent et s’étoffent.
Car avec la crise de la Covid-19, s’il y a bien une chose qui n’a pas changé, c’est la sensibilité des ménages aux prix et elle s’est même accentuée. Enquête après enquête, à la question « de manière générale pour vos achats de produits alimentaires, classez les trois critères qui sont les plus importants dans vos choix de produits », le prix est de loin le premier critère de choix, très loin devant la qualité gustative, l’impact environnemental ou bien encore les conditions de rémunération des petits producteurs qui n’est visiblement pas une préoccupation majeure des ménages français.
Les grands apprennent à se faire petits
En outre, ce sont bien les grandes enseignes qui ont investi le e-commerce alimentaire, un segment en pleine effervescence qui a vu notamment le rapprochement entre Amazon et Monoprix. De leur côté Carrefour et Casino ont lancé leur propre marketplace dédiée aux produits alimentaires, respectivement en juin 2020 et en avril 2021 et ont noué des partenariats avec les deux acteurs incontournables de la livraison express Deliveroo et Uber Eats.
Des drives piétons, points ou local de récupération de paquets, sans magasin physique, sont également en plein déploiement et offrent un maillage de plus en plus dense des centres-ville. Une opportunité de plus pour cibler la clientèle citadine tout en limitant l’investissement et les coûts de fonctionnement par rapport à l’ouverture de magasins de proximité ou au développement d’une offre de livraison à domicile.
Au moment où les inquiétudes autour de l’évolution du pouvoir d’achat se font plus pressantes (d’autant plus que l’inflation alimentaire pourrait se réveiller dans le sillage de la hausse des cours des matières premières agricoles) et où les grandes enseignes ont été contraintes par la crise à accélérer leur offensive dans les centres-villes, les gagnants d’hier risquent de déchanter et céder du terrain aux vrais vainqueurs : les discounteurs et les grandes enseignes qui apprennent à se faire petits à travers une floraison de solutions pour alimenter le cœur des centres urbains.
Publié le jeudi 10 juin 2021 . 4 min. 33
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