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La succession des crises rapprochées depuis 2020 a redonné du crédit aux thématiques de la sobriété, de la démondialisation, de la relocalisation, etc. Il y aurait un après et un avant Covid. L’idée du monde d’après refait surface comme à chaque fois que la mondialisation financière semble rattrapée par ses contradictions fatales. Les désordres climatiques sont aujourd’hui bien palpables et abondamment commentés, devenant un nouveau point focal de l’actualité. Les crises géostratégiques, les dérèglements financiers, les pénuries répétitives, l’inflation, la récession qui gagne, sont autant de symptômes d’un régime qui ne parvient plus à trouver son rythme de croisière soutenable. Bref, la grande bifurcation du capitalisme, c’est maintenant.


Souverainisme industriel


Sommes-nous dans l’auto persuasion ou bien ce discours rend-il compte d’une transformation véritable du système ? L’idée est indéniablement servie par une série d’événements marquants. Au premier rang desquels figure la bascule à marche forcée du secteur automobile sur l’électrique, une accélération que renforce l’échéance européenne de 2035 concernant la fin des moteurs thermiques. L’entrée en scène de la Chine dans ce domaine, concentrant tous les atouts pour dominer le secteur, atteste de la portée mondiale de cette révolution de la mobilité. Au même moment, la résurgence des logiques de bloc et d’une nouvelle guerre froide dynamitent l’idéal du village monde et de platitude porté par la mondialisation financière. Et comme dans l’après-guerre, la relance des rivalités s’incarne dans la course aux étoiles et à l’armement. Confirmant le mouvement de repli agressif, les grandes puissances, États-Unis et Chine en tête, promeuvent un souverainisme industriel désireux de localiser sur le territoire les segments stratégiques des chaînes de valeur liés aux transformations climatiques et numériques. Plus que jamais, les États-Unis subventionnent le made in America.


Des doutes sur la bifurcation énergétique


Mais à ces faits marquants y répondent d’autres tout aussi marquants, qui jettent un gros doute sur la bifurcation. Contredisant l’idée d’une mue de notre mix énergétique, l’AIE vient nous rappeler que 2023 sera une année record concernant la consommation d’hydrocarbure, la Chine étant à elle seule responsable de 70% de la hausse cette année. Et loin d’un reflux de la mondialisation, le commerce mondial de marchandises poursuit de son côté sa marche en avant, les années post-Covid étant en net surplomb par rapport à la fin des années 2010. La Chine poursuit quant à elle sa stratégie de croissance extravertie. Loin de se recentrer sur sa demande interne, c’est en continuant sa poussée vers le reste du monde qu’elle tente de différer les impasses financières d’une croissance domestique minée par le surendettement. Ni la montée des barrières tarifaires, ni les embargos liés à la guerre en Ukraine ne sont parvenus à inverser la dynamique du commerce mondial à ce jour, le recul récent témoignant d’abord de la récession qui gagne l’économie mondiale. Quant à la réindustrialisation, elle bute déjà aux États-Unis sur le manque de main-d’œuvre, l’économie peinant à mener de front l’accélération digitale dans les services et le rebond industriel. Le souverainisme industriel, s’il veut vraiment restreindre la mobilité du capital, doit ainsi transiger avec la mobilité internationale de la main-d’œuvre.


Le jeu se déplace avec l'IA


On ne peut faire l’impasse de surcroît sur le fait que les années 2020 marquent l’avènement de l’intelligence artificielle (IA). Cette bifurcation est d’abord celle d’une extension du productivisme à la sphère des services. C’est l’avènement d’une technologie qui, s’enrichissant des données personnelles et du codage de chaque individu, permet de révolutionner la santé, l’éducation, la distribution, le soin, les loisirs, la production intellectuelle, réduisant à sa portion congrue l’intervention humaine. La sphère tertiaire rejoue ainsi ce qui s’est joué par le passé dans l’industrie. Pendant que les États tentent à grand peine une relocalisation de leur industrie, l’IA ouvre des possibilités infinies de déterritorialisation des services. Le jeu se déplace et la mondialisation n’a pas dit son dernier mot. In fine, s’il y a bifurcation, ce n’est sans doute pas celle que l’on guette, qui rendrait par nécessité le capitalisme plus conforme aux impératifs de soutenabilité sociale et environnementale.


Publié le mardi 23 juillet 2024 . 4 min. 59

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