Xerfi Canal présente l'analyse d'Alexandre Mirlicourtois, directeur des études de Xerfi
Tout le monde en est persuadé : la France est surendettée. D’ailleurs, si Standard & Poor’s a dégradé la note de la France le 13 janvier, c’est bien en raison de l’importance de son taux d’endettement. C’est aussi en raison des inquiétudes de l’agence de notation sur la capacité du pays à maîtriser son endettement ces prochaines années. Et il est vrai que celui-ci a considérablement augmenté depuis 2008. L’endettement de la France, qui représentait 58% du PIB en 2002, a grimpé jusqu’à 68% en 2008 et culminera à près de 90% cette année, record historique. Et pourtant, malgré les apparences, ce ratio qui a toutes les apparences de la rigueur et du sérieux, n’a strictement aucun sens. Examinons cela de plus près. Ce rapport, celui « dette brute / PIB » n’a aucune signification pertinente en comptabilité. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela revient à rapporter un stock, la dette, à un flux, le PIB. Calculer le ratio dette brute/PIB c’est donc comparer deux notions de nature très différente. Pour résumer, c’est comme si un banquier jugeait la situation financière d’un ménage sans se préoccuper ni de son patrimoine, ni de sa capacité à générer des revenus dans les années à venir. C’est absurde pour un ménage. C’est tout autant absurde s’agissant d’un pays. Et l’habitude a été prise d’utiliser ce ratio qui n’a pourtant aucune justification économique. Pour être rigoureux, il faudrait plutôt comparer la dette du pays à une somme de PIB futurs. On ne rembourse pas une dette sur une seule année ! Une dette, cela se rembourse en effet grâce aux revenus de plusieurs années. En bon respect des normes comptables, les entreprises ne font d’ailleurs pas autre chose. Pour une entreprise, l’important n’est pas le rapport entre sa dette à l’instant T et sa production de l’année en cours. Ce qui compte pour une entreprise, c’est bien le rapport entre sa dette à l’instant T et la valeur actualisée de ses revenus futurs. Dans une même logique de flux, il serait aussi plus correct de rapporter le PIB annuel de la France (de l’ordre de 2 000 milliards d’euros) à la charge de la dette, c'est-à-dire le montant des intérêts versés chaque année. Pour la France, la somme en jeu est aujourd’hui d’environ 50 milliards d’euros, c’est moins de 2,5% du PIB. Ce n’est pas exorbitant, d’autant que les taux auxquels l’Etat refinance sa dette sont redevenus historiquement bas. Mais attention, ce chiffre progresse. C’est le signe que la situation dérive quand même un peu, et qu’il faut être vigilant. Mais au lieu d’une logique de flux, nous pourrions adopter un point de vue de stock. On pourrait ainsi tout autant choisir de rapporter la dette (c'est-à-dire le passif) aux actifs. Sous cet angle le diagnostic sur l’endettement de la France change radicalement. On voit alors que le passif est largement inférieur à l’actif. Prenons l’exemple d’un nouveau-né français. Il hérite dès sa naissance d’une dette publique. Mais il hérite aussi d’actifs publics financiers et non-financiers : maternité, écoles, routes, hôpitaux, monuments, et autres infrastructures préexistantes, construits et financés par les générations antérieures. Insister sur le passif, la dette, en passant sous silence les actifs, c’est véritablement manquer de rigueur. Aucun commissaire aux comptes digne de ce titre ne procéderait de la sorte. Car cela ne reflète absolument pas le patrimoine ni la capacité de remboursement. Disons-le tout net : contrairement à ce que certains prétendent, les enfants nés en 2011 ne sont pas endettés. En vérité, ils héritent d’un patrimoine public net d’une valeur proche de 500 milliards d’euros. Pour autant, ne poussons pas trop vite le ouf de soulagement. Il ne faut pas se voiler la face, la situation est en train de se détériorer. Pour faire court, si l’héritage a triplé entre 2003 et 2007, il a fondu de 38% entre 2007 et 2010. Mais poussons plus loin l’analyse pour mettre en évidence une autre source de confusion sur la dette. La dette de la France ne peut pas se résumer à celle de l’Etat. L’Etat, ce n’est que l’un des agents économiques, ce n’est pas toute la France. Vous l’aurez compris, pour savoir si la France est ou non endettée, et à quel niveau, le rapport dette de l'Etat / PIB est fallacieux et trop étroit. Non, la dette de la France, c’est la dette de tous ses agents économiques, y compris les agents privés. C’est donc la somme de la dette des entreprises, des ménages et de l’État envers des acteurs situés hors de nos frontières. Pourquoi seulement hors de nos frontières ? Parce que les dettes internes s'annulent, puisqu'à la dette d'un agent correspond la créance d'un autre. La seule partie à rembourser par la France, c'est celle détenue par des investisseurs étrangers. La Banque de France publie chaque année un « compte des transactions courantes » qui décrit, dans une logique de flux les échanges de biens, de services, de revenus et de transferts courants avec l'extérieur. Le solde de ce compte représente ce que la France a emprunté (ou prêté) chaque année. Et que nous apprend cet indicateur ? Comme vous pouvez le voir, négatif en 1990 (d’environ 10 milliards d'euros), ce solde s'améliore ensuite de façon continue. Devenu positif en 1992, il augmente pour atteindre son maximum au début des années 2000. En clair, la France a troqué son statut de débitrice pour celui de créancière. Ce qui n’a pas duré. En effet, le solde est rapidement redevenu négatif en 2005. Très bas en 2009 et 2010, il a plongé davantage encore pour tomber à un déficit de près de 50 milliards d’euros fin 2011. Un record. Finalement, les années 1990 ont donc été de belles années pour l'équilibre financier de la France. Un avantage qui s'est peu à peu évaporé après 2000. Disons le clairement : la France a plus consommé qu'elle n’a produit. A l’évidence, ce n'est pas sain car un pays ne peut pas vivre indéfiniment au dessus de ses moyens. Mais tout ceci concerne les flux seulement. Qu'en est-il de la dette, c'est-à-dire du stock ? Pour le mesurer, il faut additionner le solde des transactions courantes au fil des ans. Et le résultat est pour le moins surprenant. Sur la base de cet indicateur, la France n’était pas endettée fin 2011. En revanche, attention, elle le sera vraiment en 2012. Et là, il faut vraiment tirer le signal d’alarme car les vrais problèmes sont devant nous. Compte tenu de l’inertie des évolutions et de notre incapacité à faire fructifier la demande mondiale qui nous est adressée, la tendance va se renforcer au moins jusqu’en 2015. Et Il ne faut pas se voiler la face cela n’est pas soutenable. Si l’on veut sérieusement s’occuper de la réduction de la dette il est donc prioritaire de s’attacher à rééquilibrer nos comptes extérieurs. Et l’alternative est simple : soit à grands coups de plans de rigueur la demande intérieure est sacrifiée pour faire chuter les importations et effacer le déficit extérieur. Soit l’on donne à nos entreprises les moyens d’être plus offensives à l’extérieur comme dans la défense de leurs parts de marché sur le territoire. Cela ne peut passer que par une thérapie de choc pour stimuler l'offre. Et il faut bien comprendre qu’aucun rééquilibrage ne sera possible sans la reconstruction d’un tissu de grandes PME et d’entreprises de taille intermédiaires compétitives. La France reste l’un des débiteurs les moins risqués en Europe et dans le monde. Elle a la solvabilité nécessaire pour rembourser quoi que ce soit et les Français aussi. Des Français dont le patrimoine total dépasse 10 000 milliards d’euros. 10 000 milliards d’euros c’est près de 6 fois la dette publique. Pourquoi alors la France est-elle dans le collimateur des marchés financiers ? Certes, L'opinion des « marchés » ne s'interroge pas sur la pertinence des indicateurs publiés. Et une partie de la crédibilité d’un Etat se joue bien aujourd’hui à travers un mauvais indicateur. Mais il y a plus grave. Une erreur stratégique majeure des gouvernements successifs. Si Bercy est si soucieux du jugement des marchés c’est qu’une large part de la dette publique française est désormais détenue par des investisseurs étrangers. Parmi les grands pays, nous sommes même sans équivalent comme le montre ce graphique. Des investisseurs étrangers dont la ligne de conduite est dictée par les seuls avis des agences de notation. Et la conduite de la politique de la France ne peut pas se résumer à la soumission au « triple A ». Si il y a quelque chose à renationaliser, c’est bien la dette publique, en faisant appel à l'épargne nationale. Pour se soustraire, à la pression des agences de notation, il faudra d’abord compter sur nos propres forces.
Alexandre Mirlicourtois, Dette de la France: fausses croyances et vérités cachées, une vidéo Xerfi Canal
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