Les déboires industriels allemands font-ils le bonheur de ses partenaires européens ? C’est ce que pourrait suggérer la hiérarchie des croissances en Europe, où, une fois n’est pas coutume, l’Allemagne est surclassée par l’écrasante majorité des autres économies, notamment du Sud. Si cette hypothèse est vraie, encore faut-il être capable d’en expliquer les mécanismes. Avec l’Allemagne, tout part de l’industrie. Depuis la fin des années 2000, le pays a toujours été perçu comme un géant industriel dont la domination étouffait les marges et les volumes des pays périphériques. Et si l’on compare aujourd’hui la dynamique de la production manufacturière de l’Allemagne à celle du reste de l’UE, tout laisse penser que la dégringolade allemande a créé un appel d’air pour le reste de l’Europe. Mais comment est-ce possible ?
L’heure n’est pas à la revanche du Sud
L’Allemagne est aussi une grande nation importatrice. Elle inclut dans sa chaîne de sous-traitance toute une série de pays dont il est difficile d’imaginer qu’ils puissent avoir dorénavant une dynamique autonome. De plus, elle occupe des créneaux à forte valeur ajoutée réputés inexpugnables. Difficile d’imaginer que les pays périphériques aient réussi en si peu d’années à l’en déloger. Il faut entrer plus finement dans les données pour comprendre que, malheureusement, nous ne vivons pas l’heure de la revanche du Sud ou de l’Ouest. Derrière la robustesse apparente de l’industrie non-germanique, il y a d’abord l’incroyable effet trompe-l’œil de l’Irlande. En effet, la production manufacturière du pays surplombe de 80% son niveau de 2018. L’Irlande est un véritable cheval de Troie pour les géants anglo-saxons qui élisent domicile sur le territoire pour y facturer leurs produits et y héberger leurs profits. Le détournement de valeur du paradis fiscal européen prend des dimensions telles qu’elles biaisent l’analyse.
Des exceptions européennes qui trompent les chiffres
À ce cas extrême, il faut ajouter deux autres cas singuliers mais aux effets significatifs sur la moyenne. D’abord celui du Danemark, dont la production manufacturière surplombe de près de 40% ses niveaux de 2018. Le pays a pleinement tiré parti de l’avantage que lui procure la production de gaz et de pétrole. Mais surtout, il a développé des positionnements porteurs de niche à très forte valeur ajoutée, notamment dans la pharmacie, l’éolien et les biens d’équipement, dont il récolte les dividendes. Autre trajectoire singulière, celle de la Grèce, dont le dynamisme industriel ne marque que le retour du pays sur sa ligne de flottaison après sa descente aux enfers des deux dernières décennies. Et in fine, lorsque l’on additionne ces trois petites économies, il apparaît que le reflux allemand a pour effet miroir la percée exceptionnelle d’un petit noyau.
Les répercussions variées sur l'Europe centrale et de l'Ouest
Si l’on place maintenant le focus sur les régions où l’on peut attendre des retombées plus mécaniques des déboires allemands, d’une part les PECO, qui entrent dans la chaîne de valeur allemande, et d’autre part les puissances industrielles intermédiaires, France, Italie, Espagne, en rivalité plus directe avec la production allemande, deux conclusions majeures ressortent. D’abord, les pays de l’Est, qui avaient été embarqués dans le sillage allemand, voient leur dynamique exceptionnelle se briser. Ils ne sont néanmoins pas emportés dans la chute de leur donneur d’ordres. Cette résistance est due d’abord au fait que de plus en plus d’industries allemandes, sur un mode défensif, délocalisent leur production sur ces territoires. Ensuite, certains de ces pays, comme la Pologne, bâtissent peu à peu une dynamique autonome sur la base d’avantages qui leur sont propres, notamment dans les batteries, l’électroménager ou les semi-conducteurs. Pour les économies intermédiaires, France, Italie, Espagne, le bilan est plus amer. Elles demeurent plantées, nettement en dessous des niveaux qui prévalaient avant 2008 et même 2019. Plus qu’un motif de satisfaction ou de revanche, les déboires industriels allemands risquent bien de préfigurer un affaiblissement généralisé de l’Europe.
Publié le lundi 7 octobre 2024 . 3 min. 53
Les dernières vidéos
Europe, zone euro
Les dernières vidéos
d'Alexandre Mirlicourtois
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES