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L’inflation est regardée avec méfiance. Et pour certains, elle serait même cœur d’un grand mensonge d’État, car volontairement sous-estimée à la fois pour limiter les revalorisations des prestations sociales qui lui sont indexées, mais aussi abusivement gonfler le niveau de vie des Français. Un procès en suspicion d’autant plus enclin à être mené que l’indice des prix à la consommation est calculé par l’Insee, une direction générale directement rattachée à Bercy. Avant tout, comme toute statistique, l’indice des prix à la consommation est une construction sociale faite de savoir-faire scientifique, de pragmatisme, de conventions et de rapports de force.


Côté scientifique, l’idée est d’utiliser un indice composite unique synthétisant l’ensemble des mouvements de prix. Pour cela, il faut partir d’indices élémentaires qui suivent l’évolution d’un ensemble de produits et services. Au fil des 8 générations d’indice des prix, l’exhaustivité n’est plus très loin. Le panier de la ménagère suivi est passé de 34 articles entre 1914 et 1949 à 160 000 aujourd’hui distribués dans 27 000 points de vente répartis dans une centaine d’agglomérations de plus de 2 000 habitants, auxquels s’ajoutent 40 000 séries de « tarifs », qui s’appliquent de façon uniforme en tout point du territoire et qui sont collectées de façon centralisée (abonnements aux services de télécommunications, tarifs SNCF, etc.) : 97% de la consommation est désormais couverte. Cette collecte de terrain a en outre été progressivement complétée par d’autres sources avec notamment, depuis 2020, les données de caisses de la grande distribution. Seul trou problématique dans la couverture, les biens d’occasion ne sont pas pris en compte alors qu’avec le développement de sites spécialisés ce marché est en pleine expansion.


Départager l’effet qualité de la variation « pure » du prix


Sur cette première partie du travail, l’Insee n’est pas réellement remis en cause, mais se pose très vite le problème de la délicate mesure de « l’effet qualité ». Puisque le principe de base est celui du suivi du prix d’un bien à qualité constante, toute variation de la qualité doit être traitée pour qu’elle n’apparaisse pas comme une évolution du prix. Il faut entrer dans la boîte noire de la construction de l’indice dont la finalité des traitements à ce stade est de déterminer un prix théorique lié aux caractéristiques du produit et de le comparer au prix effectivement affiché ce qui permet de départager l’effet qualité de la variation « pure » du prix. Un quart des produits étudiés chaque année sont ainsi traités.


Or, si l’effet qualité reste contenu dans l’écrasante majorité des cas, certains résultats interpellent : en l’intégrant, le prix d’un ordinateur aurait ainsi chuté de 82% au cours des années 90 et de presque autant dans les années 2000 et encore de 46% la décennie suivante pour un total de 98%. Ces mêmes tendances se retrouvent pour les téléphones portables, les téléviseurs, etc. Le calcul est juste : tous ces produits ont fait des bonds technologiques remarquables. Mais de même qu’il y a des dépenses contraintes, il y aussi une qualité contrainte imposée par les industriels liée à la disparition d’anciens produits et leur replacement par de nouveau, quand bien même les nouvelles fonctions échappent à la majorité des utilisateurs, un biais qui tend à légèrement minimiser l’inflation générale. Toutefois, l’effet qualité n’est pas mesuré dans les services, ce qui est de plus en plus problématique.


Les coefficients budgétaires, objets de virulentes attaques


Chaque bien et service se voit ensuite attribuer une pondération équivalente à sa part dans les dépenses totales des ménages, un panier type renouvelé tous les 5 ans. Si l’agrégation des différents indices ensuite ne pose pas de réels problèmes, en revanche les coefficients budgétaires retenus sont l’objet de virulentes attaques. En fait, une ligne cristallise à elle seule toutes les critiques et celle du logement stricto sensu qui compte pour un peu moins de 7% de l’indice général des prix, ce qui peut susciter l’incompréhension. Mais ce chiffre n’est en aucun cas une mesure du taux d’effort pour se loger. Par convention, l’acquisition d’un logement est un acte d’investissement et non de consommation, contrairement au loyer, et échappe donc par définition à l’IPC. Or, en 2020, 57,7% des ménages étaient propriétaires de leur résidence principale auxquels il faut ajouter les 2,4% logés à titre gratuit. Les locataires, c’est 40% de la population dont le taux d’effort moyen est de 20% une fois déduites les différentes aides. C’est mathématique : 20% de 40% cela fait 8. Il faut aussi intégrer que le niveau de vie des locataires, et par conséquent leurs dépenses de consommation, est plus faible de 20% environ à celles des propriétaires, ce qui ramène le poids des loyers dans la consommation totale entre 6 et 7%.


Mais comment nier que l’inflation immobilière alourdit davantage le coût de la vie des nouveaux accédants par rapport à leurs prédécesseurs ? Si l’on se situe dans la stricte cohérence de l’IPC, il n’y a pas de raison de penser qu’un biais significatif existe dans un sens ou dans l’autre. Ce qui tend à signifier que pour mieux répondre à la demande sociale actuelle, il s’agira plutôt de chercher à compléter l’IPC par des indices complémentaires portant sur la notion de dépense plus que de consommation stricto sensu, que de penser que l’IPC (en tant que tel) est mal élaboré.


Publié le mardi 01 février 2022 . 5 min. 05

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