En moins de 20 ans la cartographie européenne de filière viande a été bouleversée.
Témoin de cette recomposition, le jeu de chaises musicales du top 5 des pays exportateurs. En 2001, les Pays-Bas, le Danemark (seul pays nordique fortement agricole) et la France sont aux trois premières places, suivis de l’Allemagne et de la Belgique. 17 ans plus tard, les Pays-Bas sont toujours en tête mais suivis cette fois-ci de l’Allemagne qui fait un bond en avant. L’Espagne et la Pologne chassent du club des 5 la France (passée 8ème) et le Danemark (7ème). La Belgique conserve pour sa part sa 5ème place.
Montée en puissance de l’Allemagne depuis 20 ans
La place de numéro 1 des Pays-Bas peut surprendre. C’est la marque à la fois de la puissance de sa filière viande mais aussi du rôle de plateforme de réexportation de l’économie néerlandaise au niveau de l’Union européenne (grâce au notamment au port de Rotterdam) qui font du pays le 2ème exportateur mondial de produits agroalimentaires derrière les Etats-Unis. Les statistiques sur le commerce extérieur du pays sont donc à prendre avec précaution car les volumes échangés dépassent de loin la production locale, ce qui est également le cas pour la Belgique.
En revanche ce qui est indiscutable, c’est la montée en puissance de l’Allemagne, principalement dans deux filières, le porc et la volaille. Sur les 20 dernières années, la production des abattoirs allemands a progressé de plus de 30% contre à peine plus de 10% pour le reste de l’Union européenne faisant de l’Allemagne le numéro 1 du secteur. La France, l’Italie et le Danemark ont principalement fait les frais de cette avancée allemande. Dans la volaille, le développement est également très spectaculaire avec un nombre de bêtes abattues qui a plus que doublé sur la période. La France et le Danemark ne suivent pas et leur offre se réduit.
L’Allemagne a usé et abusé de la directive sur les travailleurs détachés
Avec l’Allemagne, beaucoup s’est jouée avant 2014, c’est-à-dire avant la mise en place d’un salaire minium dans les abattoirs. Jusqu’à cette date, les entreprises outre-Rhin ont usé et abusé de la directive de 1996 sur les « travailleurs détachés » pour renforcer leur compétitivité. Pour aller à l'essentiel, les industriels allemands mobilisaient dans leurs murs des salariés détachés employés par des sociétés intermédiaires installées en Europe de l'Est. A charge pour elle de trouver et de rémunérer le personnel en se conformant aux deux grands principes de la directive de 1996 :
• Le premier, celui du droit du pays d'accueil : le travailleur détaché doit être rémunéré aux conditions du pays dans lequel se déroule le contrat. Sauf qu'en Allemagne il n'y avait pas de salaire minimum dans le secteur des abattoirs.
• Deuxième principe, la société prestataire reste assujettie au régime de Sécurité sociale de son pays d'origine, pour l’essentiel des pays de l’Est où elles étaient réduites.
Ce double avantage a bien sûr fait baisser le coût du travail : entre 6 et 7 euros de l'heure au tournant des années 2010, contre 20 dans les usines françaises.
Offensive polonaise
La percée sur la scène européenne des industriels ibériques est plus récente. Elle survient après la grande récession et les crises à répétition qui ont suivi. Comme avec l’Allemagne, ce sont les filières porcines et volailles, dont l’élevage est plus facilement industrialisables, qui sont investies avec des productions en hausse de respectivement 32 et 21% entre 2013 et 2018. Comme avec l’Allemagne, c’est une histoire de coût, les entreprises ayant joué la dévaluation interne, autrement dit la forte baisse des salaires pour s’imposer.
L‘offensive de la Pologne marque une nouvelle étape et s’inscrit dans un mouvement long. Depuis son adhésion à l’UE en 2004, les exportations de viandes polonaises ont été multipliées par 8, passant de 620 millions d’euros à plus de 5 milliards. La Pologne est devenue un acteur incontournable, se hissant à la 1ere place de la filière volaille avec une augmentation de sa production de 177%. Dans la filière bovine, dans une Europe en recul, l’offre a progressé de 89% ce qui positionne le pays au 7ème rang. Enfin, même si avec 8%, la hausse semble limitée dans la filière porcine, cela a été suffisant pour atteindre la 4ème position.
Le recours aux aides européennes et les investissements de grands groupes étrangers ont enclenché une dynamique de restructuration et une profonde modernisation des outils d'abattage/découpe. Avec une main-d'œuvre 4 fois moins chère qu'en France, les abattoirs polonais proposent aujourd'hui une viande au rapport qualité-prix imbattable en Europe. Mais il n’y a pas que la Pologne : la Hongrie (7ème) et la Roumanie (9ème) pointent leurs nez à leur tour dans la volaille et commencent à se positionner dans la filière porcine.
Ces évolutions en volume peuvent masquer des stratégies de qualité divergentes, mais même à l’Est le bio progresse et la valorisation de la production s’élève là-bas aussi. Le centre de gravité de l’industrie de la viande se déplace irrémédiablement vers l’Est et c’est au détriment du Danemark, de la France et de l’Italie.
Publié le mercredi 19 juin 2019 . 4 min. 47
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