La souveraineté économique suppose que soient sécurisés les besoins d’approvisionnements essentiels des entreprises et que l’offre productive réponde aux principaux éléments de la demande de biens et services d’une population : besoins alimentaires, besoins énergétiques, besoins de santé, besoins d’équipements et de consommation de base, auxquels il faut ajouter une indépendance financière et aujourd’hui du numérique. Or, sur ces six derniers domaines, la France décroche. La preuve en chiffres.
L’agriculture et l’industrie agro-alimentaire française cèdent du terrain
La France d’abord n’assure plus totalement sa souveraineté alimentaire, si bien qu’aujourd’hui 20% de l’assiette des Français serait importée. Très concrètement, plus de la moitié de la viande ovine consommée vient de l’extérieur de nos frontières, 42% de la viande de volaille, 26% de la viande porcine, 21% de la viande bovine. La situation est également alarmante dans d’autres filières : 37% de la consommation de fruits frais tempérés viens de l’extérieur, la palme revenant aux produits de la pêche et de l’aquaculture à plus de 90%. Cette tendance s’inscrit dans l’évolution plus globale de l’internationalisation des filières, c’est-à-dire d’un accroissement de la part de la production mondiale qui est exportée ou importée pour satisfaire un décalage croissant entre bassins de production et de consommation. Ce n’est pas pour autant qu’il faut se voiler la face : l’agriculture et les industries agroalimentaires françaises cèdent du terrain, deviennent de plus en plus dépendantes des importations et sont même devenues archi-déficitaires sans les boissons. Manque de compétitivité prix, concurrence déloyale principalement des producteurs allemands et néerlandais qui ont abusé du recours au travail détaché notamment dans l’abatage de viande, règlementation environnementale et fiscalité plus contraignantes qu’ailleurs… les handicaps ne manquent pas. Affaiblie, notre autonomie alimentaire risque en outre de se réduire encore plus, compte tenu de la démographie vieillissante des exploitants agricoles.
Côté énergie, parmi les 6 erreurs de la politique énergétique française pointées dans un rapport remis à l’Assemblée nationale, deux semblent majeures :
1. d’abord, ne pas avoir anticipé la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires par maintenance ainsi que leur renouvellement en série industrielle et non en chantier isolé ;
2. de surcroît, ne pas avoir construit plus vite des filières industrielles d’énergies renouvelables en remplacement des énergies fossiles.
Bilan, pour la 1re fois depuis 40 ans, la France a été en 2022 importatrice nette d’électricité. L’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire en raison des problèmes de corrosion sous contrainte explique cette situation inédite, qui a débouché sur une chute généralisée de la production d’électricité, une production tombée à son plus bas niveau depuis 30 ans. Et c’est bien principalement la chute d’activité des centrales nucléaires qui en est l’origine. Mais, au-delà même de l’impact de fermetures temporaires, cette chute s’inscrit dans un mouvement plus global de recul depuis le pic de 2005. Quant à la production d’énergie renouvelable, elle progresse, mais avec des chaines de valeur dominées en amont par des opérateurs étrangers (la Chine notamment) qui détient 70% du marché de la fabrication de panneaux solaires.
La France dépendante des investisseurs étrangers
Autre domaine où la position française recule, la santé, dans le médicament notamment. Une seule courbe suffit pour prendre la mesure du déclassement français : celle des pénuries de médicaments. Si l’année 2020 a été marquée par les manques dus à la crise de la Covid-19, les pénuries de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur sont en hausse constante, multipliées par près de 20 en 10 ans et, à n’en pas douter, les médicaments du quotidien sont tout autant concernés. C’est l’effet « Doliprane ». Insuffisance des moyens consacrés à la R&D santé, perte d’attractivité du pays en matière d’essais cliniques, procédures extrêmement longues d’accès au marché et de fixation des prix, etc., ont entraîné un déclin de la production pharmaceutique, avec à la clé une perte de souveraineté sanitaire.
Cette tendance s’inscrit dans celle plus générale d’un « made in France » qui ne couvre plus que 36% de la consommation domestique en biens manufacturés : plus de 85% des articles d’habillement et chaussures, 84% des appareils ménagers, 76% du matériel informatique et audiovisuel, 70% de l’ameublement sont importés.
Une dépendance réelle qui fragilise notre indépendance financière. En témoigne le partage de la détention des titres publics de la dette française entre résidents et non-résidents. Cela rend très sensible l’évolution du coût de la dette aux notes des agences de notation. Et intensifie les risques, en cas de nécessité, de renégocier la dette. Les investisseurs résidents sont en effet plus « captifs » que les non-résidents et moins susceptibles de chercher à vendre leurs titres en cas de crise ou d’incertitudes économiques. Après avoir doublé entre 2000 et 2009, le taux de détention par les non-résidents était en recul, mais le mouvement est depuis peu à nouveau à la hausse. Selon les statistiques de la Banque de France, les non-résidents détenaient fin 2022 un peu plus de 50% du stock de dette émis par des administrations publiques françaises, ce qui fait de la France un pays dépendant des investisseurs étrangers.
Enfin, contrairement à la Chine et aux États-Unis, la France, à l’instar de l’Europe tout entière, se trouve actuellement dans une situation de forte dépendance numérique, nul besoin d’épiloguer. Le constat reste sans appel : d’année en année, de crise en crise, la France découvre de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles dépendances qui minent sa souveraineté.
Publié le jeudi 27 avril 2023 . 5 min. 28
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