L’automobile redevient-elle ce qu’elle était à son début, un luxe réservé aux plus favorisés ? Le profil type d’un acheteur de véhicule neuf en dit long : majoritairement un homme, âgé de plus de 54 ans, cadre, chef d’entreprise, exerçant une profession libérale ou retraité aisé. Et, parmi les évolutions les plus marquantes depuis les années 90, l’âge moyen de l’acheteur a progressé de plus de 10 ans. C’est un premier signe : le budget d’un véhicule neuf devient hors de portée pour les plus jeunes, dont le taux d’équipement recule. Le véhicule que l'on possède dépend directement de ses ressources : plus du quart du choix des 10% les plus riches porte sur des voitures neuves, contre seulement 4% chez les 10% les plus modestes.
Une explosion des prix aux multiples causes
La cause ? L’explosion des tarifs. En six ans, le prix moyen d’un véhicule neuf a bondi de 10 000 euros, passant de 26 000 à 36 000 euros, selon une étude de AAA Data. La flambée des prix est multifactorielle, avec pêle-mêle : l’augmentation du coût des matières premières et des composants ; la transition vers l’électrique, qui alourdit considérablement la facture ; l’inflation réglementaire, qui multiplie les normes et renchérit le coût de production ; et enfin la stratégie des constructeurs, qui misent sur le haut de gamme plutôt que sur des modèles abordables (mis à part certains segments low-cost).
Un cercle vicieux qui exclut les classes populaires
C’est à partir d’ici qu’un cercle vicieux s’enclenche : les prix s’élèvent ; seuls les plus aisés achètent ; la demande se recentre vers le haut de gamme, incitant les constructeurs à délaisser les petits modèles. Peu à peu, les classes populaires et modestes sont écartées, tandis que le marché se tourne toujours plus vers les catégories les plus favorisées, poussant les constructeurs… et ainsi de suite. Résultat : les 20% les plus riches concentrent 40% des achats de voitures neuves, tandis que la majorité des Français se contente de modèles d’occasion vieillissants. Mais ce repli sur l’occasion a ses limites : l’atrophie du marché du neuf finira par se répercuter sur l’offre en seconde main, qui deviendra elle aussi inabordable pour les ménages les plus modestes. Bref, c’est la fin de la démocratisation de l’automobile.
Vers une mobilité à deux vitesses
Parmi les marqueurs de cette fracture sociale, deux sont incontournables. Il y a d’abord l’âge moyen des véhicules. Il ne cesse de s’élever. Il est possible d’y voir les conséquences de l’amélioration de l’entretien du parc, passage au contrôle technique oblige… cela doit jouer en effet. Mais c’est bien plus encore le signe de l’impossibilité, pour une part croissante de la population, de s’orienter vers le neuf. L’âge du parc diesel, celui des classes populaires vivant en périphérie souvent contraintes à la multi-motorisation, augmente le plus rapidement.
La répartition par Crit’Air, c’est-à-dire le niveau de pollution du véhicule, sésame indispensable donnant le droit (ou non) de circuler dans certaines zones, est plus édifiante encore : près d’un véhicule sur deux détenus par les ménages appartenant aux trois déciles de niveaux de vie les plus bas est égal ou supérieur au Crit’Air 3 et se retrouve de facto banni de circulation dans les zones à faibles émissions ou ZFE des grands centres urbains, reléguant ces ménages aux marges. Pour les 10% les plus aisés, cela concerne à peine plus d’un véhicule sur cinq. Si rien ne change, les riches rouleront en neuf et en électrique, les autres s’accrocheront à des modèles d’occasion de plus en plus vétustes ou devront renoncer à se déplacer, réduisant ainsi leur accès à l’emploi, aux services et à la vie sociale.
La voiture, longtemps symbole de liberté et de progrès, est en passe de devenir un privilège. Une régression brutale, qui pourrait bien se transformer en bombe sociale.
Publié le vendredi 14 mars 2025 . 4 min. 07
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