Xerfi Canal présente l'analyse d' Alexandre Mirlicourtois, directeur des études de Xerfi
L’année 2012 est celle de tous les dangers pour la zone euro. Une zone euro passée sous leadership allemand. Et la position allemande sur la politique économique à mener tient en un mot un seul : orthodoxie. Traduction ?
1- impossibilité pour la Banque centrale européenne de monétiser directement la dette publique ;
2- généralisation de la règle d’or par les Etats membres, quitte même à l’inscrire dans les constitutions.
3- alignement sur le modèle mercantiliste sophistiqué.
Monétiser la dette c’est quoi ? C’est une opération qui consiste à remplacer la dette publique par de la création monétaire. C’est ce que fait la Fed aux Etats-Unis. C’est ce que fait la BoJ au Japon. Plus proche de nous, c’est ce que fait la Banque d’Angleterre. C’est le rôle que la France voulait faire jouer à la BCE. Mais l’Allemagne a refusé. En revanche, l’Allemagne a obtenu que ses principaux partenaires s’engagent à ramener leur taux d’endettement public à 60% du PIB. Seule condition ? Appliquer la fameuse règle d’or. La règle d’or c’est quoi ? C’est simplement interdire les déficits publics structurels. Cela impose un effort colossal. C’est d’ailleurs bien ce que montrent les prévisions des gouvernements en matière de réduction des déficits publics. L’Espagne prévoit de passer de 9% à 3% entre 2010 et 2013. 3% c’est la cible du gouvernement français alors que l’Italie ambitionne quasiment d’être à l’équilibre. En période de conjoncture dégradée, il ne faut pas se voiler la face, cela revient à sabrer dans les dépenses publiques et à durcir la fiscalité. Enfin, c’est aligner les modèles de croissance de l’ensemble des pays de la zone sur celui de l’Allemagne. Dans une logique de développement « mercantiliste sophistiqué », la croissance se gagne à l’export et en accumulant les excédents commerciaux. Il faut donc être compétitif. Et la voie est toute tracée. Il faut radicalement modifier le partage des revenus au détriment des salariés. Il faut, comme en Allemagne, mettre les salariés au « régime sec », c’est-à-dire limiter la hausse du coût horaire par la modération salariale. Dans l’industrie allemande, le coût horaire (charges comprises) a progressé de 14% entre 2002 et 2010. Une progression de 27% en France et même de 36% en Espagne. C’est donc le remède de cheval pour l’Europe du Sud, y compris la France. Le problème ? C’est que surdosé, le remède de cheval tue le cheval. Une politique budgétaire trop restrictive a un effet dépressif sur la demande. Ce qui entraîne un recul de l’activité. Privé de recettes fiscales, le déficit budgétaire se creuse alors un peu plus. Et pour répondre aux engagements des gouvernements d’alléger leurs déficits publics de nouvelles mesures restrictives sont adoptées, des mesures qui laminent un peu plus l’activité. C’est une spirale infernale dans laquelle le ratio Dette/PIB devient incontrôlable par un effet dénominateur, c'est-à-dire le recul du PIB. C’est un cercle vicieux dans lequel sont pris la majorité des pays du sud de la zone euro. Mais ce n’est pas tout. La réduction précipitée et généralisée des déficits publics, y compris pour ceux qui auraient des marges de manœuvres budgétaires pour relancer leur activité, déprime la demande domestique. Mécaniquement, cela réduit les importations de chacun. Ce qui devrait en théorie rééquilibrer les comptes extérieurs. En théorie, car les importations des uns font les exportations des autres. Autrement dit, c’est un jeu de dupes. Pour s’en convaincre, il suffit de mesurer combien les pays de la zone commercent entre eux : l’Italie réalise 55,2% de ses exportations avec la zone euro. Un niveau comparable à celui de l’Espagne : 54,8%. Un chiffre qui est de 47,7% pour la France et tombe à 41,4% pour l’Allemagne, ce qui reste très significatif. Pour faire bref, si la demande domestique se réduit, la demande d’importation aussi. Personne ne parvient à doper ses exportations et il y a baisse de la demande, donc de la croissance, pour tout le monde. Dans ces conditions, rien d’étonnant à l’orientation prise par l’indicateur de confiance des chefs d’entreprise. Pire encore, les perspectives d’activité chutent, comme par exemple dans l’industrie. Des perspectives d’activité qui, comme vous pouvez le voir, se situent désormais en dessous de leur moyenne de long terme. Mais le plus inquiétant c’est que toutes les branches d’activité suivent la même tendance. Les ménages eux sont en proie aujourd’hui à de nombreuses difficultés et ils n’anticipent aucune amélioration ces prochains mois. Bien au contraire. Ils prévoient une nouvelle dégradation de leurs revenus. En clair, c’est l’attentisme ou la prudence qui prévaut et qui prévaudra sur des comportements plus offensifs ou dépensiers. Ménages et chef d’entreprise sont donc à l’unisson. C’est bel et bien ce qui explique pourquoi la chute de l’indice général de confiance, tombe à un niveau compatible avec l’entrée en récession. C’est-à-dire un niveau qui s’est installé sous sa moyenne de long terme, par définition fixée à 100. Pourtant, cette vision d’ensemble est trompeuse. Trompeuse parce qu’il s’agit bien sûr d’une moyenne qui masque l’écart inexorable entre le Nord et le Sud de la zone euro. Des pays du Nord, emmenés par l’Allemagne, qui bénéficient des effets positifs des politiques de l’offre menées au début des années 2000. Une politique qui permet aujourd’hui à leurs entreprises d’être offensives grâce à une rentabilité retrouvée et une forte compétitivité. En face le Sud, dont la France fait partie, doit affronter une demande domestique en berne, un tissu d’entreprises fragilisé qui cède du terrain en permanence. A cela s’ajoute l’écart durable, même si il s’est récemment réduit, des taux d’intérêt entre les deux grandes zones. Ce qui affecte tous les coûts de financement de l’économie. Pas étonnant donc que les trajectoires des indices de confiance entre la France et l’Allemagne divergent de plus en plus. L’écart entre les deux indicateurs en janvier dernier était de 15 points. Il faut remonter en juin 1991 pour retrouver un tel écart en faveur de l’Allemagne. Cette opposition entre le Nord et le Sud se retrouve bien évidemment dans nos prévisions. Avec un Sud en progression lente et qui n’aura toujours pas retrouvé son niveau de PIB d’avant la récession de 2008-2009, et un Nord en progression plus rapide, à défaut d’être euphorique. Mais le fossé se creuse entre les deux parties de la zone euro. Selon nos prévisions, l’Allemagne devrait nettement faire la course en tête de tous les grands pays en 2012 comme en 2013. Pour les pays du sud, aucun ne devrait pouvoir dépasser le seuil symbolique de 1%. Une déception. Surtout, c’est insuffisant pour espérer une quelconque amélioration des marchés de l’emploi. Et à plus long terme, parmi les pays du sud c’est bien la France qui semble la moins bien armée pour remonter la pente. Dans le haut de gamme, les positions vont rester prises par les pays mercantilistes du Nord de l’Europe. Mais la concurrence va s’intensifier avec les entreprises italiennes, espagnoles voire grecques qui à force de déflation salariale redorent très rapidement leur compétitivité. Des pays dont les productions sont en concurrence frontales avec celles des entreprises française. Et la pression va s’intensifier aussi avec la Chine qui est en phase de transition et se déploie désormais dans des activités à plus forte valeur ajoutée. Enfin, l’entrée de gamme sera sous la domination des pays mercantilistes émergents (Viêtnam, Indonésie, Bangladesh). La France est donc prise en étau. Cela explique pourquoi que dans les prochaines années son redressement sera plus difficile que celui de l’Espagne ou de l’Italie.
Alexandre Mirlicourtois, Prévisions zone euro : la France prise en étau, une vidéo Xerfi canal.
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