Xerfi Canal présente l'analyse d'Alexandre Mirlicourtois et Sabine Gräfe sur les problèmes de fond de l'économie française.
Le tohu-bohu de l’euro dissimule les problèmes de fond de l’économie française et les ravages de notre appareil productif. Il faut arrêter de croire, ou de faire croire, que le réglage monétaire ou macro-économique peut à lui seul provoquer des miracles. Une vérité s’impose : la croissance est avant tout une question d'entreprises, de création de valeur ajoutée, donc de travail, d'investissements et de compétences sur le territoire national. Il faut donc se plonger dans la réalité des secteurs et des sociétés pour cerner dans quels domaines, et par qui, notre économie peut créer de la richesse et des emplois. En d’autres termes qui fabrique de la valeur ajoutée pour augmenter le PIB. Regardez ce graphique, qui représente la répartition du PIB par grandes activités. Vous remarquerez que l’industrie ne fabrique plus que 13% de la valeur ajoutée totale du pays. C’est trop peu, car seule l’industrie permet d’exporter suffisamment pour compenser nos besoins d’importations. C’est aussi l’industrie qui devrait porter la recherche et innovation. C’est l’industrie qui devrait entraîner les services qui lui sont associés. A l’opposé, la France se distingue par la puissance de sa distribution. Ce n’est pas étonnant puisque l’on a fait de la stimulation de la consommation notre principal facteur de croissance. Mais nos distributeurs s’approvisionnent désormais massivement hors de France. Ce n’est pas étonnant puisque une large part des biens que nous consommons ne sont plus produits sur le territoire. Le niveau de nos importations est ainsi devenu intenable, d’autant plus que nous ne sommes pas assez compétitifs pour équilibrer ce déficit par des exportations
Une autre caractéristique de notre modèle économique doit attirer notre attention. Je veux parler du poids de l’administration, qui représente près de 23% du PIB. C’est beaucoup. Mais surtout, ce n’est pas le secteur public qui peut porter la croissance alors que l’Etat doit impérativement rétablir son équilibre budgétaire. Une conclusion s’impose : la croissance ne pourra venir que des entreprises, et en particulier de celles qui produisent des biens ou des services dans le cadre de l’hexagone. Il faut donc regarder de plus près ce tissu d’entreprises, qui révèle la faiblesse de notre économie Sous cet angle, un paradoxe très français saute aux yeux : la France ne manque pas d’entreprises… mais elle manque cruellement de vrais entrepreneurs. La France compte en effet un peu plus de 3,4 millions d’entreprises. Compte tenu de la taille de notre économie, cela nous rend immédiatement comparables à l’Allemagne ou au Royaume-Uni. Non l’exception française n’est pas dans le nombre mais dans la taille, la croissance, et les marges des entreprises. Notre structure d’entreprise n’est pas en mesure de faire croître suffisamment notre PIB. Regardez, tout en en haut de ce schéma. 39 de nos multinationales se hissent dans le top 500 des plus grands groupes mondiaux, là où l’Allemagne n’en place que 37 et les Britanniques seulement 29. Mais la plupart de ces multinationales françaises jouent désormais la croissance à l’extérieur, sur les marchés porteurs, et investissent massivement sur place. Regardez maintenant en bas du schéma. Vous voyez un tissu très dense d’entreprises petites et microscopiques dont l’écrasante majorité ne compte pas même 1 salarié. La plupart d’entre elles n’ont pas vocation à grandir. Entre les multinationales, et les TPE, c’est le désert, ou presque. La France compte moins de 4 200 entreprises de taille intermédiaire (ou ETI) contre près de 10 500 en Allemagne. C’est le même type d’écart que l’on retrouve d’ailleurs entre les deux pays pour les PME de 50 à 250 salariés. Nous n’avons donc pas un problème de natalité des entreprises, mais de croissance. Or seules les PME et les ETI en développement créent de l’activité et donc de l’emploi sur le territoire. De plus, ces PME et des ETI sont freinées dans leur développement par leur trop faible rentabilité. Il ne faut pas se laisser aveugler par l’excellence des performances du CAC 40. Il faut descendre de plusieurs échelons et s’intéresser au taux marge de l’ensemble des sociétés. Et là deux constats s’imposent. Le premier, les entreprises françaises souffrent d’un déficit de marge. Un déficit qui s’est creusé. C’est très net lorsque l’on compare avec l’Allemagne, mais ce serait aussi vrai face à l’Italie. Entre 1999-2001, l’excédent brut d’exploitation rapportée à la valeur ajoutée était déjà 15% moins élevé en France qu’en Allemagne, en moyenne. Et entre 2006 et 2008, c’est-à-dire juste avant la récession, ce ratio est inférieur de 24% par rapport à l’Allemagne. Deuxième constat : la crise a accéléré le déclin. Le taux de marge des entreprises françaises est tombé sous la barre des 29% au 2ème trimestre de cette année. Du jamais vu depuis 1985. C’est un retour en arrière de 26 ans ! Or quand les marges sont comprimées, c’est la profitabilité qui s’érode et donc la capacité des entreprises à investir, à embaucher, à augmenter les salaires, à se projeter en dehors des frontières pour aller conquérir les marchés en croissance. C’est la principale raison du déclin industriel de la France. Certes le poids des prélèvements obligatoires qui pèse sur nos entreprises a sa part de responsabilité. Et une fois de plus, la comparaison avec l’Allemagne est éloquente. Près de 46% pour les entreprises françaises. A peine plus de 28% pour leurs homologues allemandes. Mais le positionnement de notre offre industrielle sur le milieu de gamme est également très lourd de conséquences. On peut même dire que ce choix a été une erreur stratégique majeure car cela a mécaniquement placé nos entreprises dans une compétition par les coûts. Pour rester dans la course, nos PME-ETI industrielles ont été contraintes de sacrifier leurs marges. Ce qui les affaiblit et entrave leur développement. Les multinationales, elles, ont naturellement préféré s’approvisionner ou fabriquer là où les coûts de production sont les plus bas, c'est-à-dire qu’elles ont délocalisé. La tentation était d’autant plus grande que ces marchés étaient également les plus porteurs. Au moment même où PSA Peugeot Citroën annonce 6 000 suppressions d’emplois en Europe, dont 2 500 chez les prestataires extérieurs, le groupe accélère la cadence au Brésil, un marché en pleine expansion. Leur avenir est de plus en plus là-bas et de moins en moins ici. En d’autres termes, nos grands groupes n’ont plus assez d’effet d’entrainement sur le reste de notre tissu productif. Et le lien est direct avec le creusement rapide de notre solde extérieur. Notre balance commerciale se dirige droit vers le déficit record de 75 milliards d’euros cette année. Un déficit qu’il faut bien financer et qui explique aussi le niveau de notre endettement public. Un mur qui représente désormais plus de 85% de notre PIB. Un mur qui fait du service de la dette, le premier poste budgétaire devant l’éducation nationale. Il faut arrêter de tergiverser, et il faut dire la vérité. La France n’a pas d’autre solution pour les prochaines années que de réduire ses dépenses publiques et d’augmenter ses prélèvements obligatoires. Et elle va devoir se prescrire cette potion amère sans nuire aux capacités de développement des entreprises qui créent de la valeur et des emplois sur le territoire. Notre modèle de croissance est à bout de souffle. C’est pour apporter sa contribution à la réflexion que Xerfi organise le 1er décembre prochain sa conférence annuelle de prévisions macro-économiques et sectorielles. La question centrale sera bien entendu : « quelle stratégie pour la France ? » sur la période 2012-2017. Nul doute que le tissu productif français est désormais dos au mur. Il va falloir de l’audace si l’on veut arrêter le déclin.
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d' Alexandre Mirlicourtois et Sabine Gräfe
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