Parmi les raisons de la colère agricole, la question des revenus. La situation est plus complexe qu'il n'y paraît, mais il est possible d'affirmer que ce n'est absolument pas la misère que certains dénoncent. Dire qu'un tiers des agriculteurs français gagnent moins de 350 euros par mois n'est pas vrai. En revanche, le monde agricole est fracturé par d'énormes écarts de rémunérations selon les différentes orientations et zones de production, exacerbés aussi par une très forte volatilité d'une année sur l'autre.
Réalité économique versus réalité sociale
Dans le maquis des données, deux sources sont à privilégier : les Agreste, service statistique ministériel de l'Agriculture, et l'Insee. Selon les chiffres officiels du premier, un agriculteur, ou une agricultrice, s'est dégagé en 2022 un revenu avant impôt de 4 132 euros par mois une fois toutes ses charges payées et ses emprunts remboursés. Il s'agit bien du revenu agricole par personne et non à l'échelle d'un ménage. Ce chiffre est très éloigné des 1 860 euros mensuels calculés par l'Insee pour 2021. Entre les deux, l'année de référence a de l'importance, l'exercice 2022 ayant été marqué par un bond de 30% des revenus des exploitants. Mais même ainsi redressé, la jonction entre les deux ne se fait pas. Parce que la moyenne de 4 132 euros ne prend pas en compte les sommes mises de côté par les agriculteurs pour autofinancer leurs investissements, ni les charges qui résultent de mécanismes socio-fiscaux de lissage de leur activité.
Bref, les chiffres du ministère de l'Agriculture sont plus en raccord avec la réalité économique et comptable des exploitations, tandis que les chiffres de l'Insee sont plus fidèles à la réalité sociale, au revenu réel. Compte tenu des dernières évolutions, nous l'avons estimé à Xerfi à un peu moins de 2 200 euros pour 2023.
Disparités selon l'orientation de la production et au sein d'un même type de production
Autour de cette moyenne, les disparités sont énormes et s'aggravent. C'est pourquoi le revenu moyen s'élève plus rapidement que le revenu médian qui divise la population en deux moitiés égales. Cela signifie en termes clairs que les augmentations profitent avant tout à ceux déjà au sommet de l'échelle. Les inégalités s'accroissent donc, avec cette particularité : elles s'accentuent les bonnes années.
Première source d'hétérogénéité : l'orientation de la production, avec d'un côté ceux qui se situent nettement au-dessus du lot, élevages porcins, la catégorie autres grandes cultures (pomme de terre, betteraves sucrières, plantes à fibres) mais aussi, à un degré moindre, la viticulture et de l'autre, éleveurs de moutons, de chèvres, de bovins sont à la peine. Entre ces deux pôles, le rapport est d'environ 1 à 2.
Cette vision macroscopique mérite d'être affinée tant les inégalités au sein d'un même type de production peuvent être colossales. Premier élément discriminant : la taille économique des exploitations. Quelle que soit l'orientation productive, le revenu moyen dégagé des grandes exploitations est supérieur à celui des exploitations de taille moyenne, lui-même plus élevé que celui des petites exploitations.
Impact du statut juridique et du terroir
Le statut juridique est lui aussi très discriminant. Les performances des exploitations en société surpassent structurellement celles des exploitations individuelles. Idem pour le terroir. Soit parce qu'il est très bien valorisé et permet de se dégager une rente : 1 hectare de vigne au Sud de Dijon n'offre pas aux viticulteurs les mêmes revenus que la même surface dans l'Aude ou l'Hérault. Soit parce que les rendements y sont hors normes, que ce soit en raison de la fertilité des sols et/ou de la facilité à les exploiter. C'est le cas de la Beauce, grenier à blé de la France.
Orientation des productions selon les territoires, taille des exploitations, terroirs sont aussi à l'origine de très fortes disparités régionales. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si c'est à Toulouse en Occitanie que les manifestations ont commencé, et si plus globalement le sud du pays s'est embrasé. Et s'il faut faire deux photos, ce sont celles-ci : un quart des agriculteurs touche moins de 573 euros, un quart plus de 2 874 euros, soit un rapport de 1 à 5. Et s'il faut aller aux extrêmes, entre les 25% des exploitants les moins bien dotés, ceux de la filière fruits, et les 25% les mieux dotés, ceux de la filière porcine, l'écart est de 1 à 100.
Autant dire que certains vivent très bien quand d'autres sont sous le seuil de pauvreté et ne peuvent s'en sortir sans le RSA malgré l'accumulation des heures de labeur.
Publié le mardi 20 février 2024 . 4 min. 35
Les dernières vidéos
Industrie, IAA
Les dernières vidéos
d'Alexandre Mirlicourtois
LES + RÉCENTES
: vers une responsabilité accrue et engagée Dominique Turcq 06/12/2024
LES INCONTOURNABLES