Xerfi Canal présente l'analyse de Laurent Faibis, Président de Xerfi
L'affaire Alstom a révélé les convoitises dont font l'objet nos fleurons industriels. Cela survient alors que l'on sent monter une nouvelle vague de fusion-acquisitions dans le monde. Pourquoi maintenant ?
Eh bien c'est simple. Nous sommes au moment où l'on compte les gagnants et les perdants de la crise. C'est donc aussi l'heure de vérité pour les entreprises françaises affaiblies qui risquent de passer sous contrôle étranger. C'est de la sorte que nous avons perdu Pechiney et Arcelor dans le passé. Aujourd'hui, après Peugeot, nous voilà face au cas Alstom, mais il faudrait aussi parler de la fusion de Lafarge et du suisse Holcim, de l'équilibre futur de l'alliance Renault-Nissan, et peut-être aussi de l'avenir de Sanofi dont le Président vient de s'installer aux Etats-Unis, ce qui est tout un symbole.
Alors comment en est-on arrivé là ?
On a trop accusé la mondialisation, on s'est trop focalisé sur le bouc-émissaire chinois, et nous n'avons pas été assez attentifs au contexte géoéconomique européen. Cela s'est révélé un piège, et la France n'a pas su transformer son modèle économique à temps. Tout l'enjeu est aujourd'hui d'inverser le sens de l'histoire. Mais il faut prendre en compte que nous sommes dans une union monétaire, et que la zone euro renforce inexorablement la polarisation industrielle autour d'une puissance centrale.
Cette puissance, c'est bien évidemment l'Allemagne?
Oui, il y a leadership allemand incontestable? et ce n'est pas la France qui bien tiré parti du grand marché européen. De plus, la demande européenne est en berne. Alors que faire quand l'Allemagne génère 45% de la valeur ajoutée en biens d'équipement et en automobile contre seulement 7 % pour la France ? Comment éviter la vassalisation économique face à un puissant voisin qui a réussi à intégrer ses partenaires dans son système productif et ses chaînes de valeur ? Notre rêve d'une puissance économique et politique européenne a en fait débouché sur une plateforme de production largement dominée par un pays qui définit les règles du jeu. Nous sommes embarqués dans une stratégie qui donne la priorité aux exportations au détriment de la demande intérieure, ce qui explique d'ailleurs largement les tensions déflationnistes contre lesquelles la BCE à décidé de s'attaquer.
Cette domination de la plateforme productive allemande, quelles conséquences vous en tirez sur nos stratégies d'alliance ?
Ne pas en tenir compte de notre situation d'infériorité serait une erreur. Nous sommes affaiblis, et confrontés au leadership incontestable de l'économie allemande dans beaucoup de domaines. Il est souvent difficile de s'en sortir seuls. Mais provoquer des regroupements européens en position de faiblesse, c'est une erreur. Négocier avec des rivaux directs sur des marchés en surcapacité ce sera toujours défavorable à notre outil de production et donc à l'emploi. Ce n'est donc qu'en déplaçant le jeu et en se tournant délibérément vers l'échiquier mondial que le tissu productif français peut s'extraire du piège.
Si l'on regarde l'a ctualité de ces derniers mois, on constate que c'est justement la voie suivie par Peugeot et Alstom?
Oui, ces groupes ont choisi de s'allier à un partenaire extra-européen qui offre des complémentarités en termes de puissance financière, industrielle, une ouverture à de vastes marchés et de véritables perspectives de développement. Mais l'appui de l'Etat est indispensable pour renforcer le pouvoir de négociation de nos entreprises en position défensive, et bien valoriser notre apport technologique.
Ne pourrait-on pas toutefois pas regretter que l'on ne donne pas la priorité à des solutions franco-françaises ?
Non, la France n'en a plus les moyens. Il faut comprendre que le monde est passé du commerce des produits au commerce des opérations. L'enjeu n'est donc plus de maîtriser des filières entières et des produits de A à Z. L'enjeu désormais c'est de parvenir à capter de la valeur sur des maillons stratégiques de chaines de production et de services mondialisées. L'impératif, c'est d'être être forts sur des maillons de la chaîne de valeur, pas sur toute la filière.
Vous avez évoqué les situations défensives. Mais où sont nos maillons offensifs, nos points forts de spécialisation ?
Les entreprises françaises ont souvent bien du mal à conquérir les maillons avals des filières. Il y a bien sûr des exceptions, je pense au secteur du Luxe, mais aussi à un groupe comme l'Oréal. Mais lorsque l'on analyse les points forts de notre tissu productif, nos entreprises disposent plutôt d'atouts dans la conception amont, la production de composants et de services intermédiaires à forte valeur ajoutée, mais aussi dans les services collectifs.
C'est donc sur ce positionnement « B to B » qu'il faut miser en priorité pour conquérir les marchés mondiaux ?
Pas seulement, mais c'est souvent notre point fort. Regardez le dynamisme et la modernité d'entreprises comme Gemalto, STMicrolectronics, Valéo, Cap Gemini, Atos ou encore Dassault Systems, celle de nos groupes des services collectifs. Mais il y a bien plus ! C'est sur ce créneau de produits et services « B to B » que nous avons notre meilleur vivier de start-up françaises. Cela nous a permis une percée remarquée dans les activités liées à Internet et à la nouvelle génération d'objets connectés.
Qu'est-ce que nos entreprises peuvent attendre du contexte européen dans cette perspective ?
Le constat, c'est que l'Europe n'est pas d'un grand secours. Certes nous avons fait Airbus et Ariane, mais il y a bien longtemps. Et il faut rappeler que c'est la France qui a été à l'initiative de ces projets. Quant à la stratégie de Lisbonne, cela n'a pas donné grand-chose. L'Europe s'est avérée impuissante à faire émerger des Microsoft, des Apple, des Google, Facebook ou autre Amazon. Le constat, c'est une Europe incapable de toute stratégie industrielle transeuropéenne, c'est son inaptitude à fédérer les intérêts nationaux derrière des projets productifs communs.
Mais vous avez souligné que la France disposait d'une véritable force de frappe en termes d'innovation grâce au dynamisme de ses entreprises innovantes ! Quel doit être alors le rôle de l'Etat ?
La France fait effectivement partie des Etats « pépinières », par sa capacité d'innovation de rupture. L'Etat doit renforcer son rôle déterminant dans l'amorçage des projets. Mais en prolongement de cet effort, il doit aussi faire contrepoids pour éviter la perte prématurée de nos pépites, qu'il s'agisse de services innovants ou de haute technologie. Mais l'action de l'Etat doit aussi favoriser des partenariats équilibrés avec des firmes étrangères lorsque c'est nécessaire. C'est indispensable pour que ces entreprises atteignent la taille critique internationale. Il faut éviter la prédation par des acteurs industriels et financiers plus puissants, qu'ils soient ou non européens.
Alors finalement, où aller chercher ces alliances ? Vers qui se tourner ?
La France a des grands groupes multinationaux, mais beaucoup se sont construits grâce à leur talent dans les fusions acquisitions. Par contre, il faut reconnaître que nous n'avons pas su construire une entreprise internationale par implantation directe depuis des décennies. Il faut donc chercher des alliances. Ces alliances, il faut bien souvent les chercher auprès des pays et d'entreprises étrangères capables de porter nos innovations au plan mondial, sans exclusive géographique : ceux qui détiennent déjà un pouvoir de réseau, des savoirs faires complémentaires, ceux qui nous ouvrent de très marchés.
S'il le projet Europe a décu, vous ne faites donc pas pour autant la promotion de la « préférence nationale »?
Certains ont tendance à mélanger la préférence nationale et l'intérêt national avec des analyses simplistes et démagogiques. Non, j'insiste : la « préférence nationale » est aujourd'hui un leurre dangereux. Quand à la préférence européenne, c'est une impasse compte tenu de l'état du marché européen et du leadership allemand. Au contraire, c'est la mondialisation qui nous ouvre un espace stratégique. Je dirais même que pour reprendre pied en Europe, il n'y a pas d'autre solution que de jouer délibérément, le jeu de la mondialisation, ce que les français ont trop longtemps rejeté. Beaucoup de pays et d'entreprises dans le monde ont parfaitement conscience du potentiel innovateur et technologique de la France.
Alors, ces alliances, avec qui ?
Nous sommes dans un monde multipolaire. La réponse est donc au cas par cas, sans préjugé et sans exclusive. La nécessité, c'est de s'intégrer avec les meilleurs partenaires possibles dans les chaînes de valeur mondiales. C'est ce que l'on a fait pour sauver Peugeot. C'est sans doute ce qu'il faut faire avec Alstom. Mais c'est aussi la voie à suivre pour beaucoup de sociétés de croissance qui doivent impérativement s'internationaliser.
Laurent Faibis, Les stratégies d'alliances de la France : le monde plutôt que l'Europe ?, une vidéo Xerfi Canal
Publié le jeudi 12 juin 2014 . 12 min. 07
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