Face aux crises sociales et environnementales ressurgit une question fondamentale : faut-il laisser la plus grande liberté au marché ou protéger certains domaines des lois de l’offre et de la demande ? Ce débat opposait déjà de Karl Polanyi et Friedrich Hayek il y a 80 ans. Un débat par livre interposé car les 2 hommes ne se connaissaient pas.
Polanyi était un critique du marché autorégulé, mais il ne s'inscrivait pas du tout dans une perspective marxiste. Dans La Grande Transformation, publié en 1944, et récemment réédité, il ne parle jamais de lutte des classes. Par contre, il met en garde contre les dangers d’un marché séparé des relations sociales, culturelles et naturelles.
Polanyi identifie trois éléments qui, selon lui, ne doivent pas être soumis aux lois du marché : la terre, le travail et la monnaie. Les traiter comme des marchandises entraîne des crises sociales et environnementales. Plutôt que de prôner la collectivisation des moyens de production, Polanyi appelle à les "réencastrer", c’est-à-dire à les réintégrer dans un cadre social et environnemental équilibré.
Friedrich Hayek, le prix Nobel d’économie en 1974 adopte une position radicalement différente dans La Route de la servitude, également publié en 1944. Il considéré en effet toute régulation du marché comme une menace à la liberté. Pour lui, le marché, en tant que mécanisme de coordination décentralisée, garantit la liberté individuelle. Les prix, selon Hayek, permettent une allocation optimale des ressources. Toute intervention étatique risque de déséquilibrer cet ordre naturel et d’aboutir à la tyrannie.
Les ultralibéraux américains ont depuis radicalisé les positons de Hayek. Ainsi, Milton Friedman, dans Capitalisme et liberté, publié en 1962, va plus loin en prônant la dérégulation de presque tous les secteurs, y compris l’éducation et la santé. Nombre d’autres économistes américains ont défendu la dérégulation des marchés financiers dans les années 2000. Cependant, la succession de crises économiques, financières, sociales et environnementales, a montré les limites parfois inquiétantes de cette approche. Elle pose des questions sur un libre marché capable de s’autoréguler sans intervention.
Polanyi avait anticipé que ce désencastrement qui rend autonome le monde l’économie par rapport à ensemble des relations culturelles, sociales et environnementales conduirait à des crises écologiques et sociales. La dérégulation de la sphère monétaire et financière n’a fait qu’accélérer ce phénomène. De fait, le réchauffement climatique, l’augmentation des inégalités et les risques de crises financières confirment ses craintes.
Certes, il ne s’agit pas pour Polanyi de rejeter entièrement le marché, mais de reconnaître ses insuffisances. 80 ans plus tard, ce débat est aujourd’hui d’une terrible d’actualité.
Publié le jeudi 19 septembre 2024 . 4 min. 01
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