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Qu’il s’agisse des investissements d’une entreprise ou d’une politique publique, il est habituel de procéder à une évaluation du rapport couts (ou risques) /bénéfices.


Avec la pandémie à Covid-19, cette notion a été souvent évoquée dans le débat public sur la vaccination.
Le plus souvent, on doit aussi tenir compte des incertitudes et cela requiert de mobiliser le calcul des probabilités.
Mais lorsqu’il s’agit de projets particulièrement innovants, il faut convenir qu’une part irréductible d’inconnu échappe à ces calculs. Faut-il s’y résigner et nier l’inconnu ?


Cela veut plutot dire qu’il faut se préparer à des déboires inattendus ou se méfier d’une sous-estimation de la valeur potentielle de certaines innovations. Une thèse récente soutenue par Agathe Gilain à MinesParisTech en 2021, suggère que l’on peut tenir compte de la valeur de l’inconnu en adoptant une démarche exploratrice et une conception continuée des projets innovants.

 
Revenons à la tradition : qu’il s’agisse des jeux de hasard ou des aléas de la vie, on a pensé depuis longtemps que les décisions qui se veulent rationnelles devaient soupeser « les chances » et les conséquences des différentes éventualités.
Cette approche a connu son apogée après la seconde guerre-mondiale, avec la théorie Bayesienne de la décision qui a influencé autant les choix industriels que les décisions médicales face au risque. Cependant, la théorie suppose que les actions et les évènements, seraient de faible probabilité, sont tous connus ou fixés à l’avance.


Certes, la théorie prévoit que l’on peut rechercher des informations nouvelles mais celles-ci ne peuvent que changer les probabilités des situations envisagées pas ces situations elles-mêmes. Aucune surprise, aucune découverte n’est envisageable dans les calculs.


Dans un environnement stable ou incertain, ces hypothèses sont acceptables, mais lorsque les techniques et les comportements évoluent rapidement, il devient rationnel de considérer que l’inconnu n’est plus négligeable et que sa gestion constituera un axe majeur du projet !


Certes, on doit toujours vérifier a priori que les risques et les bénéfices connus sont bien cernés, mais il faut tout autant garantir que l’effort de conception technique et sociale, va continuer à explorer l’inconnu, c’est-à-dire être attentif à tout ce que l’on ne connait pas encore. 


Dans ses travaux Agathe Gilain prend l’exemple d’une innovation robotique dont tous les calculs probabilistes prédisaient clairement l’absence de rentabilité. Fallait-il s’arrêter là ?


Les responsables du projet ont jugé au contraire que les scénarios considérés étaient trop dépendants des seules compétences disponibles dans l’équipe en charge.


Ils engagent alors avec d’autres experts et avec les usines utilisatrices un travail d’exploration dans le but de renouveler les hypothèses initiales et de découvrir de nouvelles applications.


Ce travail aboutit à une reconception des usages du robot, à des organisations et à des applications inédites. Et au bout du compte, Il en résulta une rentabilité inattendue et une appropriation plus assurée du projet.


Au regard du calcul probabiliste initial la valeur économique finalement constatée n’avait qu’une probabilité extrêmement faible. On pouvait donc estimer, avec le recul, la valeur de l’inconnu que le calcul initial masquait et que l’effort continu de conception a en partie révélée.    


Reconnaître la valeur de l’inconnu ne le fait pas disparaître. Cela invite surtout à se méfier d’une vision trop décisionnelle de l’action.


Certes, il faut bien trancher et se lancer. Mais lorsque la part d’inconnu est incontestable, la décision initiale n’est que la partie visible de l’iceberg. Le succès ou l’échec du projet dépendront de l’effort collectif pour reconnaître, valoriser ou limiter l’inconnu inévitable dans un monde tourné vers l’innovation. Ainsi, les sciences de gestion ne peuvent se réduire à une science de la décision, il faut compléter celle-ci par les principes d’une bonne gestion de l’inconnu.  


Publié le mardi 22 juin 2021 . 5 min. 26

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