La stratégie de l’idiot, remède face à la bêtise

« Je suis un con positif ». C’est ainsi que s’exprimait il y a peu un animateur de la télévision dans une nouvelle gazette paraissant le dimanche. La connerie sous toutes ses formes a été ausculté sous toutes les coutures par la psychologue Jean-François Marmion qui a montré les différentes formes d’intelligence qu’elle pouvait révéler. Je suis toujours le con d’un autre et contrairement au crétinisme qui ressort d’une pathologie, la connerie est une forme de luxe: on choisit d'aller emmerder le monde. Le con serait en déficit d'intelligence émotionnelle et resterait abusé de lui-même tout en abusant des autres du fait de son égocentrisme. Mais comment comprendre cet engouement pour la connerie alors que l’époque nous exhorte à nous valoriser et à montrer le meilleur de nous-même ? C’est à celui qui pourra dénicher le bureau près du chef, parler avec fierté de ses vacances aux Seychelles et qui pourra s’approprier les succès d’équipe pour se faire bien voir de la direction. Le travail en entreprise est d’abord le management de sa propre image, dont on suppose qu’elle doit être à la fois singulière et positive.

Il s’agit de montrer que l’on est tout sauf bête. Et bien figurez-vous que le meilleur antidote à la bêtise n’est autre que l’idiotie, comme l’a très bien montré le philosophe Clément Rosset dans son Traité de l’idiotie. L’idiot (qui vient du grec idiôtès) désigne le simple, le singulier, l'unique, avant de renvoyer à l'acception plus commune de simple d'esprit qu'évoque immanquablement le souvenir de l'idiot du village. Toute chose, toute personne sont ainsi idiotes dès lors qu’elles n’existent qu’en elles-mêmes. L’idiot serait celui qui prendrait le parti de l’approximation et donc de la réinvention. L’idiot serait cet antihéros qui s’avère totalement décalé par rapport à la société dont il se démarque et à laquelle il est inadapté. Comme s’il surnageait dans le monde sans vraiment le comprendre et sans chercher à le connaître.

L’idiotie brille de mille feux contre la normalisation de la bêtise. Loin d’être un imbécile L’idiot est encore moins un abruti ou un débile. L’être débile est faible, dit le dictionnaire, en raison d’un manque de force spirituelle, en revanche il ne manque rien à l’idiot puisque c’est même la plénitude de son être qui signe sa singularité. Comme le rappelle Piette Truchot qui a beaucoup travaillé sur cette question , l’idiot est celui qui agit de lui-même, qui, de sa propre initiative pense, se comporte voire crée en fonction de règles qu’il s’est lui-même prescrites. Il ne connaît pas distinctement les codes, us et coutumes de la société dans laquelle il vit. D’où une propension pour toute société d’assimiler l’idiot à l’imbécile. Il n’y a pourtant rien d’idiot dans la pensée de l’imbécile, puisque l’intelligence de ce dernier se borne à croire en des vérités basses et vulgaires. C’est pourquoi l’imbécile n’a aucune singularité à revendiquer puisque son intelligence bornée l’incline à croire qu’il est toujours déjà, en son for intérieur, un être singulier. A contrario, l’idiot est cet être tellement intelligent qu’il ne se soucie pas de prouver aux autres qu’il l’est.