Il fut un temps où le marketing, tout auréolé de noblesse, avait des allures de grande tragédie. Les marques se lançaient dans des épopées pour répondre aux attentes des consommateurs : comment laver plus blanc, nourrir plus sain, ou rendre la vie plus confortable. Ces récits héroïques s’appuyaient sur une dramaturgie savamment orchestrée, avec des intrigues bien ficelées, des personnages attachants, et des émotions partagées. Les consommateurs étaient les protagonistes de cette scène où chaque produit jouait un rôle crucial pour résoudre leurs problèmes. Mais aujourd’hui, qu’en est-il ?
Le marketing, tel un dramaturge déchu, semble avoir troqué Sophocle pour Netflix, Eschyle pour TikTok. La grande tragédie des besoins humains a cédé la place à une tragicomédie où tout n’est qu’apparence, spectacle et dérision. L’enjeu n’est plus de résoudre une problématique ou d’améliorer le quotidien ; il s’agit avant tout de capter l’attention, à coups de récits calibrés pour l’éphémère.
Dans ce théâtre du consumérisme moderne, le produit, jadis héros principal, a été relégué au rôle de simple figurant. Fini le temps où l’on vantait ses mérites techniques, où l’on démontrait sa pertinence et son efficacité. Aujourd’hui, la mise en scène a supplanté l’utilité fonctionnelle. Il ne s’agit plus guère de résoudre le problème de la tâche sur le linge avec le détergent miracle ou de proposer la recette ingénieuse pour faire manger du poisson à vos enfants. Désormais, l’essentiel, c’est l’ambiance. Quant au produit, il est souvent réduit au rôle d’accessoire. Peu importe ce qu’il fait ou comment il fonctionne, pourvu qu’il ait l’air cool dans une story Instagram.
Et nous, spectateurs de ce grand cirque du storytelling ? Autrefois au cœur des récits publicitaires, nous sommes devenus de simples figurants. Le marketing ne s’adresse plus à notre raison ni à nos besoins concrets. Il ne cherche pas à nous convaincre ni à nous informer. Il veut avant tout nous distraire, nous émouvoir, voire nous arracher un sourire complice. Notre rôle est passif : ressentir, sans questionner.
Car poser des questions, c’est s’exposer à casser l’illusion. À quoi sert réellement ce produit ? Quelle est sa valeur ajoutée dans notre quotidien ? Autant de questions évacuées au profit d’une émotion fugace ou d’une belle histoire qui détourne notre attention des véritables enjeux : écologiques, sociaux, économiques. Pourquoi s’attarder sur le bilan carbone d’une bouteille en plastique quand on peut la vendre comme le symbole d’une aventure extraordinaire ?
Le marketing contemporain ressemble à ces tragicomédies du XVIIe siècle où les personnages se perdent dans des quiproquos absurdes. Mais ici, pas de catharsis, pas de résolution. Juste un spectacle permanent où l’émotion est une fin en soi.
Peut-être qu’un jour, lassés de ces récits qui tournent en rond, nous réclamerons le retour du drame, du vrai. En attendant, nous sirotons des aventures en bouteille et croquons des instants de bonheur publicitaire, en espérant secrètement que, derrière le rideau, le marketing se souvienne de ce qu’il était censé être : utile, et non futile.
Publié le vendredi 07 février 2025 . 3 min. 42
Les dernières vidéos
Marketing




Les dernières vidéos
de Benoît Heilbrunn




LES + RÉCENTES



LES INCONTOURNABLES

