Si vous avez suivi ne serait-ce qu’un seul cours de stratégie dans votre vie, vous savez certainement qu’une stratégie est une allocation de ressources qui engage votre entreprise dans le long terme, afin de lui permettre d’obtenir une performance durablement supérieure à celle de vos concurrents. Avoir une stratégie, c’est choisir ce que l’on fera, de manière à le faire mieux, et donc, par contraste, choisir ce que l’on ne fera pas, parce que l’on estime le faire moins bien. Il est probable que votre entreprise affiche sa stratégie sur sa page web et que vos dirigeants ne manquent jamais de la rappeler dans leurs discours. Peut-être même que cette stratégie est résumée dans une mission fièrement placardée dans le hall d’entrée de votre entreprise.
Or, comme le rappelle Richard Rumelt, professeur à l’université de Californie à Los Angeles, la plupart des entreprises – et en particulier les plus grandes – n’ont en fait pas de stratégie, car elles se dispersent entre de multiples projets et initiatives qui donnent une impression générale de progrès. Au lieu de concentrer effectivement leurs ressources de manière cohérente et coordonnées sur ce qui pourrait les rendre uniques, elles poursuivent simultanément plusieurs objectifs, ce qui les empêche d’atteindre une performance réellement distinctive. Plutôt que d’accepter de renier certaines ambitions, elles les collectionnent. Plutôt que de laisser leurs concurrents s’aventurer sur des trajectoires différentes, elles les imitent. Plutôt que de frustrer certains clients en refusant de répondre à leurs attentes, elles préfèrent tous les satisfaire. S’engager sur sa stratégie, pour beaucoup d’entreprises, cela revient le plus souvent à dépenser encore plus, sur encore plus de projets, avec encore plus d’efforts. C’est d’autant plus vrai lorsqu’une ancienne équipe de direction est remplacée par une nouvelle, qui ne manque jamais d’ajouter ses propres ambitions aux précédentes, ce qui s’accompagne d’une réorganisation supposée indispensable à l’atteinte de ces nouveaux objectifs. L’accumulation l’emporte sur le discernement.
De fait, comme le souligne astucieusement Richard Rumelt, votre principal avantage concurrentiel résulte peut-être justement du fait que vos concurrents n’ont pas de stratégie, et qu’ils ne s’attendent pas à ce que vous en ayez une. Ils supposent que vous aussi vous sacrifiez la cohérence, la concentration et la persévérance à l’opportunisme, à la complétude et à l’agilité. Vouloir tout faire, c’est ne pas pouvoir tout bien faire.
Confrontées à ce vide stratégique, plutôt que de chercher à véritablement se distinguer, certaines organisations en viennent à se donner des missions généralistes qui confinent parfois au ridicule. Rumelt se moque ainsi de l’université Cornell (mais on pourrait proposer d’autres exemples), dont la mission est d’être « une communauté apprenante qui cherche à servir la société en éduquant les leaders de demain et en étendant les frontières du savoir ». En d’autres termes, l’université Cornell se définit comme une université. Cela ne renseigne en rien sur sa stratégie, ses choix, ses ambitions ou ses différences, et d’après Rumelt, il est embarrassant pour des adultes intelligents d’être associés à des déclarations aussi creuses.
Au total, pour vous conduire au succès, votre stratégie n’a pas nécessairement besoin d’être originale ou innovante. Elle a juste besoin d’exister.
Publié le lundi 30 août 2021 . 3 min. 31
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