Savoir s'ennuyer : une source de stimulation et de richesse personnelle

L’ennui se présente généralement comme le mal absolu de nos sociétés modernes. Il incarnerait un vide qu’il convient de combler, un manque qui nourrit frustration et incompréhension. Pire encore, l’ennui apparaît bien souvent comme un manque de dynamisme et d’ambition, qui marque une incapacité à savoir ce que l’on veut, un manque d’énergie, une impossibilité à produire de l’action. Celui qui s’ennuie est donc suspect, il symbolise l’absence de motivation et de détermination. Une inadéquation avec l’environnement, qui insécurise l’entourage qui voit dans cette inaction, une perte de temps et une forme potentielle de mal-être, néfaste à toute construction sociale.

L’ennui se présente dès lors comme une forme de renoncement à toute forme de désir. On associe de ce fait l’ennui, à une forme d’apathie, à un état d’indifférence aux autres, à un manque d’intérêt, à une forme d’insensibilité et donc d’inadéquation à vivre en société. Pour de nombreux experts, cette impression de vide aurait d’ailleurs des conséquences néfastes sur nos performances, les effets de l’ennui pouvant aller de la dépression passagère jusqu’au suicide.

L’ennui se présente donc comme un facteur de souffrance qu’il convient de combattre. Cette obsession à lutter contre ce phénomène nous pousse ainsi à agir, quel qu’en soit le prix. Le maître mot de nos sociétés est donc d’être débordé, de « ne pas avoir une minute à soi », d’être connecté en permanence, toujours accroché à son smartphone, de participer à diverses réunions, de peur d’apparaître inactif. On se rassure, et on rassure, car on est occupé, même si la finalité de la tâche à réaliser peut parfois apparaître dérisoire. L’ennui est ainsi devenu, dans notre société hyper-compétitive, une situation honteuse à laquelle il nous faut remédier par n’importe quels moyens, aux risques de voir son estime sociale et de soi profondément affectées. L’absence d’occupation ou de distraction deviennent dès lors les maux la Société, qui se refusent à toute forme d’inactivité, quitte à privilégier des tâches parfois inutiles ou contraignantes, de peur d’apparaître socialement anormal.

Il ne s’agit pas ici de s’intéresser à des cas cliniques graves comme la dépression ou de revendiquer l’absence totale d’actions ou de responsabilités, bien au contraire…mais de rappeler que l’ennui est un état transitoire normal qu’il convient d’accepter en tant que tel…

Il s’agit aussi de prendre conscience que vaincre l’ennui, c’est aussi passer à côté de certains de ses bienfaits. En effet, l’ennui peut être une source de richesse, si on sait l’accepter et en tirer parti. Une étude réalisée par deux chercheuses britanniques, Sandi Mann et Rebekah Cadman, montre d’ailleurs l’importance de l’ennui dans le développement de la créativité. Selon ces recherches, les personnes qui s’ennuient réussiront davantage à s’orienter vers des activités créatives, que celles directement lancées dans un exercice de forte stimulation intellectuelle.

Pourquoi ?

Tout simplement parce que les individus ont besoin de phases de repos, de laisser leur esprit vagabonder, d’observer, de rêver, de s’émerveiller, pour régénérer leur cerveau et ainsi surmonter les difficultés du quotidien. L’ennui favorise en effet le silence, la contemplation, l’attention sélective et l’écoute. Ceci permet de créer de nouvelles connexions neuronales qui vont relier différemment les idées et résoudre des problèmes restés jusqu’alors sans réponses.

L’ennui peut aussi être un moteur au service de l’action, en poussant l’individu à sortir du cadre contraignant de son existence, pour explorer de nouveaux champs d’études dans le domaine artistique par exemple. Il est aussi un moyen de mieux se connaître, en développant une connaissance intime ce que l’on est et de ce que l’on veut vraiment par une meilleure analyse de ses émotions et réactions.

Attention donc à ne pas refuser ce qui relève de la normalité, et à faire de tout moment de son expérience humaine, une occasion de mieux se connaître et d’approfondir des espaces nouveaux que notre vie sociale et ultra-connectée rend désormais quasi-impossible.