L’agilité, c’est le mot à la mode, l'obsession du moment. Les entreprises se targuent de leur capacité à pivoter, à s’adapter sans cesse, de plus en plus rapidement. Mais si l'agilité est une qualité précieuse, elle peut aussi être un piège. À force de pivoter, ne risque-t-on pas de tourner en rond ? Cet éloge du mouvement perpétuel pourrait bien être l’illusion la plus pernicieuse du management moderne.
Nous sommes face au mythe du mouvement permanent. Mais l’agilité est-elle vraiment une solution universelle ? Comme le souligne Alistair Cockburn, l'un des pères fondateurs du mouvement Agile, « les méthodes agiles ne sont pas des solutions toutes faites, mais des cadres pour apprendre à bien travailler ». Cependant, dans la réalité, l’agilité est souvent mal comprise et mal appliquée. On la confond avec une hyper-réactivité constante, un besoin irrépressible de changer de cap au moindre signe de vent contraire. Jean-Pierre Le Goff, sociologue du travail, observe que cette frénésie du changement engendre plus de confusion que d’innovation, créant ce qu’il appelle « l’effet girouette ». Une entreprise trop agile risque de perdre de vue sa vision stratégique, réduisant ses équipes à l'état de marionnettes désorientées.
Le risque, c’est la dérive du pivot, D’ailleurs, s’agit-il de l'art de pivoter... ou de se perdre ? L’agilité prône le pivot, cette capacité à changer rapidement de direction. Mais à trop pivoter, on en vient à ne plus savoir où aller. Les exemples sont légions de start-up innovantes ayant voulu se réinventer sans cesse, en changeant de modèle économique et de cible à chaque nouveau cycle. À la fin, après tant de pivots, elles se retrouvent dans une impasse, incapables de fidéliser leurs clients, et surtout, incapable de créer une identité forte. Cette errance stratégique souligne un point crucial : pivoter sans vision, c'est s'égarer. Le pivot est nécessaire pour éviter le naufrage, mais il doit être guidé par une orientation stratégique solide, sans quoi l'entreprise risque de s'enliser dans une spirale sans fin.
L’agilité peut en effet devenir un cercle vicieux. Le paradoxe de l’agilité réside dans cette idée que, sous couvert de flexibilité, l'entreprise finit par tourner en rond. L'agilité, lorsqu'elle est mal maîtrisée, devient un mouvement perpétuel qui éloigne progressivement de l’objectif initial. Cette spirale infernale, loin de stimuler la créativité et l'innovation, engendre une lassitude des équipes et une dilution des valeurs de l’entreprise.
Dans son ouvrage « Le travail invisible », Pierre-Yves Gomez, longtemps professeur à l’emlyon, met en garde contre cette dérive : « l’agilité, à force d'être idolâtrée, devient une excuse pour ne jamais aller au bout des choses. Elle ne doit pas être une fin en soi, mais un moyen d’atteindre des objectifs clairs et précis ».
Publié le lundi 16 septembre 2024 . 3 min. 19
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