Une des erreurs que font souvent les entreprises qui souhaitent développer des programmes d’innovation est de raisonner uniquement en termes d’organisation et de processus: comment faire, comment s’organiser, etc. C’est oublier que l’innovation est un processus social et que la dimension humaine est primordiale. C’est en particulier vrai pour ce qui concerne la démarche intrapreneuriale, c’est à dire la capacité à faire émerger des projets innovants à l’intérieur de l’organisation. Dès lors la question importante qui se pose est la suivante: qui doit piloter ces projets?
Typiquement, les ressources humaines recrutent sur la base des compétences et d’un historique de réussite des candidats. On recherche quelqu’un qui sait faire preuve de leadership, ou qui possède telle ou telle expertise. Pour un nouveau projet d’innovation, on sélectionnera quelqu’un qui a progressé dans l’organisation sur la base de sa réussite. L’idée, en prenant quelqu’un de sûr, est de réduire le risque d’échec du projet.
Le chercheur Clayton Christensen estime que ce n’est pas forcément une bonne idée car l doivent tenir compte des circonstances du projet. Si le projet est en continuité avec le modèle d’affaire de l’entreprise, les compétences nécessaires seront plutôt de l’ordre de l’exécution et de la conformité avec ce modèle. C’est par exemple le cas pour une entreprise française qui décide d’ouvrir une filiale en Italie: il s’agit bien d’un projet entrepreneurial (on crée une nouvelle entité dans des conditions assez nouvelles) mais l’offre et la demande restent grosso-modo les mêmes.
Si le projet est en rupture, c’est différent. On aura dans ce cas besoin de quelqu’un qui a déjà eu une expérience d’essais et d’erreurs. En effet, un projet en rupture sera très probablement parsemé d’impasses, de retours en arrière, de pivots comme on dit désormais, au cours desquels il faudra se regrouper et repenser le modèle. Dans ces conditions, recruter quelqu’un qui n’a jamais connu ce type de situation de blocage et de doute qui appelle à une grande créativité, c’est prendre le risque que le projet s’effondre à la première difficulté. C’est ce qui est arrivé la White Star Lines qui avait choisi le capitaine Smith pour commander le voyage inaugural… du Titanic précisément parce qu’au cours de ses 40 années de carrière, celui-ci n’avait jamais eu d’accident. 40 années sans accident renforcent le sentiment que rien ne peut vous arriver, mais surtout vous prive de l’expérience-même d’une situation difficile. Lorsque celle-ci survient, c’est la catastrophe.
Pour un projet de rupture, on recherchera donc quelqu’un qui, loin d’avoir été un bon élève, a qui tout a réussi parce qu’il ou elle a bien su répondre aux questions posées, aura plutôt eu le courage d’aller chercher des situations compliquées, d’y rencontrer parfois l’échec, et d’y avoir perdu son assurance et son arrogance.
La difficulté bien-sûr est que cette perle rare n’est souvent pas trouvable au sein de l’entreprise lorsqu’on en a besoin: c’est le moment où les années de gestion des « talents » se paient cher car elle a systématiquement éliminé ceux qui n’étaient pas des bons élèves. Il faut alors chercher dehors… ce qui rend le projet plus fragile, le nouvel arrivant n’ayant pas de connaissance de l’organisation.
On le voit une fois donc, les bonnes pratiques de gestion qui fonctionnent en situation continue, ici le recrutement sur la base des compétences et de la conformité, conduisent à des échecs dans les situations de rupture.
En conclusion : Un projet d’innovation de rupture est différent des autres projets ; il doit donc se gérer différemment, et avec des profils différents.
Publié le mardi 20 septembre 2016 . 4 min. 08
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