Une des principales barrières à l’innovation dans les entreprises résulte de l’application des principes de bonne gestion. La raison est que ces principes génèrent des effets pervers, c’est à dire contraire à l’intention initiale, qui est d’innover.
Pour mieux comprendre comment les principes de bonne gestion génèrent ces effets pervers, plaçons-nous dans la situation de Sophie, jeune commerciale travaillant dans une grande entreprise. L’innovation a été placée au centre de la stratégie de celle-ci. Le PDG a été très clair : «?Tous innovateurs?!?» Sophie prend très à cœur cet impératif. Un jour, de retour d’un rendez-vous client, elle réfléchit à la discussion qu’elle vient d’avoir et lui vient l’idée d’un nouveau produit. «?Tous innovateurs?!?»
Va-t-elle pouvoir lancer ce nouveau produit ? C’est peu probable.
Ce qui est plus probable, c’est que lorsque Sophie décidera de consacrer du temps à son projet d’innovation, son responsable lui interdira avec l’argument suivant : occupe-toi d’abord de tes prospects, et s’il te reste du temps, on verra. Si elle s’entête (après tout, «?Tous innovateurs?!?»), elle n’atteindra pas ses objectifs et sera lourdement pénalisée quand viendra l’heure de l’évaluation de sa performance, car malheureusement l’innovation ne fait pas partie de ses critères d’évaluation. Elle devra donc probablement renoncer.
On retrouve bien-là le conflit entre présent et futur qui fait que les ressources vont être allouées au premier aux dépens du second. Ce conflit a été caractérise en termes d’opposition entre d’exploitation et l’exploration ou innovation.
Le problème de Sophie existe même si l’innovation fait explicitement partie de ses critères d’évaluation. Imaginons que ce soit le ca. Sophie a donc deux critères d’évaluation de sa performance : l’innovation et ses résultats commerciaux. Si elle a consacré du temps à développer une innovation, elle sera évaluée favorablement sur ce critère, mais sa performance commerciale en aura probablement souffert et elle n’aura pas atteint ses objectifs. Elle sera donc évaluée défavorablement sur ce critère. Il y a donc conflit. Que doit alors faire son responsable?? La réalité de l’entreprise étant ce qu’elle est, il est extrêmement probable que celui-ci donnera plus de poids aux mauvais résultats commerciaux, tangibles, mesurables et d’impact immédiat, qu’à l’effort d’innovation, qui lui est intangible, non mesurable et d’impact lointain. Quelle que soit la bonne volonté de ce responsable, car il est sans doute lui-même évalué ainsi. Cette attitude est donc rationnelle, et conduira à l’effet pervers de la non-innovation.
On le voit, le conflit entre exploitation et exploration provient d’un mauvais alignement entre les intentions et les mécanismes incitatifs qui régissent les actions des collaborateurs au quotidien. À moins que la direction générale, via un dispositif managérial, ne fournisse une solution pour régler ce conflit, il perdurera.
Ces dispositifs peuvent varier, comme du temps libre garanti, une priorité à l’innovation devant d’autres objectifs plus quantitatifs, ou des impératifs pour les managers de permettre l’innovation, et ils seront propres à chaque entreprise en fonction de sa culture.
En conclusion : L’innovation ne peut pas être le résultat d’une seule intention de la direction. Elle est le résultat des dispositifs managériaux mis en place par cette dernière pour que son intention se traduise dans des actions au quotidien de tous les collaborateurs. C’est donc à la conception de ces dispositifs, plus qu’à des programmes de créativité, que doit être consacré l’effort d’innovation.
Publié le jeudi 26 mai 2016 . 4 min. 31
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