Les entreprises, à mesure qu’elles évoluent, diversifient leurs objectifs, multiplient les parties prenantes et complexifient leur organisation.
Ce faisant, elles développent un ensemble de tensions paradoxales qui peuvent se révéler dangereuses pour la survie de l’entreprise.
Mais de quoi parle-ton précisément ?
Un paradoxe, tout d’abord, peut être défini comme étant un phénomène d’interdépendances entre plusieurs éléments contradictoires.
Il s’agit d’incohérences, plus ou moins latentes, qui peuvent s’exprimer à différents niveaux de l’organisation.
Le fait, par exemple, de devoir gérer de façon simultanée…. court et long terme, exploration et exploitation, écologie et optimisation, ou encore contrôle et autonomie…. constitue autant de terrains fertiles à la prolifération des paradoxes dans l’organisation.
Les tensions qui en découlent s’incarnent, le plus souvent, par un sentiment d’inconfort, du désengagement, du turn-over voire une dynamique de déclin, si l’entreprise ne parvient pas à surmonter ses contradictions.
Bien entendu, toutes les organisations, génèrent des paradoxes.
Les tensions s’expriment, cependant, de façon plus ou moins saillante en fonction de l’intensité des contradictions en vigueur et en fonction de la position des acteurs dans l’organisation…
… selon qu’ils se retrouvent à la périphérie ou à la croisée des tensions.
Les collaborateurs positionnés au carrefour des tensions doivent concrètement gérer un ensemble de dilemmes complexes, sans réels avantages à la clef…
…et, néanmoins, devoir en supporter le coût psychologique, managérial et politique.
On retrouve, notamment, dans cette configuration, dans ces zones de turbulences organisationnelles, de nombreux cadres intermédiaires dont la fonction consiste à assurer la jonction entre la stratégie et l’opérationnel, la direction et l’exécution.
Les tensions peuvent être temporaires, si elles découlent d’un changement ponctuel, ou bien durables dès lors qu’elles émanent d’une structure organisationnelle inappropriée (avec, par exemple un écart marqué, une incohérence, entre la stratégie et l’organisation de l’entreprise).
Lorsque les tensions s’enracinent cela donne lieu à un environnement structurellement dysfonctionnel, souvent pathogène, qui tend à dégrader le bien être des collaborateurs ainsi que la performance organisationnelle.
Alors comment peut-on concrètement gérer une telle situation ?
Marshall Scott Poole et Andrew Van de Ven, au sein d’un article intitulé « Using paradox to build management and organization theories », suggèrent quatre stratégies génériques :
- La séparation temporelle, tout d’abord, consiste à briser la synchronie.
Un paradoxe est, en effet, le produit d’une simultanéité entre deux logiques contradictoires.
Le fait de séquencer, de séparer dans le temps les différents objectifs, doit ainsi permettre de désamorcer les tensions.
- La séparation spatiale, ensuite, vise à ériger une frontière entre les différents éléments qui - pris individuellement – peuvent apparaître cohérents, mais se révèlent néanmoins contradictoires dès lors qu’ils cohabitent ensemble.
Le fait, par exemple, de développer des business unit qui chacunes répondent à une logique propre s’inscrit clairement dans cette démarche.
- La stratégie de synthèse, plus complexe, vise quant à elle à introduire un nouveau concept, une nouvelle perspective dans le but de réconcilier les dynamiques contraires.
Il s’agit ici de transcender les contradictions à travers un nouveau référentiel, un nouvel horizon, qui permet de convertir les tensions… en ressources.
Une telle démarche implique naturellement des aptitudes majeures en matière de leadership afin d’élaborer une vision forte et d’engager les collaborateurs autour de celle-ci.
- L’acceptation du paradoxe, enfin, consiste non pas à séparer ou à hiérarchiser les différents éléments qui produisent de la tension, mais d’apprendre à vivre avec.
Il s’agit, autrement dit, de reconnaitre que l’organisation repose sur un équilibre dynamique entre différents pôles antagonistes qui - certes génèrent un ensemble d’externalités négatives - mais fournit également de nombreux avantages stratégiques, tels que la résilience, l’innovation ou encore la créativité.
On finit dès lors par en accepter le coût, par mettre en place un management approprié et par revendiquer ces contradictions comme étant une part entière de notre identité…
… en s’appropriant, pourquoi pas, ce célèbre proverbe africain : « seul on va plus vite mais ensemble on va plus loin ».
En résumé, nous noterons qu’il n’est pas nécessairement opportun d’engager une chasse aux paradoxes au sein des organisations.
Naturellement, les structures qui alignent scrupuleusement objectifs et ressources, qui imposent des procédures et des périmètres stricts, produisent des frontières claires et des routines qui facilitent le quotidien.
Cependant, un tel aménagement ne garantit pas, pour autant, que cette organisation soit la mieux adaptée pour incuber et valoriser une innovation… ni la plus agile pour affronter les mutations… ou encore la plus résiliente pour résister aux crises.
Les organisations complexes, contradictoires produisent un ensemble de conditions, d’énergies qui peuvent, en effet, se révéler stratégiques dès lors qu’elles sont bien exploitées.
Il incombe cependant aux managers qui font le choix de l’acceptation du paradoxe d’expliciter clairement cette position… et de préserver, au mieux, le bien-être des collaborateurs… afin d’éviter qu’ils deviennent, à leur corps défendant, la variable d’ajustement.
Publié le mercredi 21 septembre 2022 . 5 min. 45
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