Allemagne, 1933. Adolf Hitler prend le pouvoir. Rapidement, la question du consentement des Allemands au projet politique, mais aussi au projet économique, fait l'objet d'une attention extrême de la part des dirigeants du Reich. Partant du principe que l'alliance de la matraque et de la propagande ne suffit pas, ces derniers vont chercher à créer un type de management original qui gratifie et créer une communauté productive. Car il s'agir bien, in fine, de préparer la guerre en réarmant le pays.
Ce management à l'allemande passe notamment par un principe : administrer aux travailleurs un baume qui adoucit l'effort. C'est un ainsi qu'est lancé l'organisation Kraft durch Freude (la force dans la joie), une sorte de comité d'entreprise géant, au sein du Deutsche Arbeitsfront qui s'était substitué aux syndicats, dissous le 1?? mai 1933.
Entre cette date et 1939, une somme équivalente à près d'un milliard d'euros actuels de fonds publics sera investie pour améliorer la décoration des lieux de travail ou encore les loisirs des ouvriers.
Ça ne vous rappelle rien ? L'heure n'est certes pas encore au baby foot et au Chief happiness officer, mais la notion de bien-être au travail était déjà bien intégrée dans cette conception nazie du management. C'est ce que rappelle l'historien Johann Chapoutot dans son troublant livre "Libre d'obéir : le management, du nazisme à aujourd'hui".
Troublant, oui, car le parallèle avec les tendances managériales ne s'arrête pas là. L'aplatissement des structures hiérarchiques ? La décentralisation des organisations ? Théorisée par le juriste Wilhelm Stuckhart, avocat de la SA, en 1941, qui fustige au passage dans ses écrits, le système centralisé français, synonyme selon lui de "mort de l'esprit d'initiative et de la joie dans le travail".
On retrouve aussi les méthodes agiles, Vivement recommandées Herbert Backe, expert agricole de l'administration du Plan de Quatre, dirigée par Hermann Goering. Pour Backe, la tutelle doit fixer un objectif et laisser la "plus grande élasticité dans les méthodes". En filigrane, il s'agit d'opérer une sélection entre ceux qui y parviendront et les "perdants". Sous-entendu, inférieurs. Car derrière tout cela, il y a bien entendu l'idée du darwinisme social.
Reinhart Höhn est autre ardent défenseur de cette élasticité, ou agilité. Ce juriste, présenté par l'auteur comme ayant été au droit ce que le docteur Mengele fut à la médecine, atteindra le grade d'Oberführer en 1945. Il passera entre les gouttes de la justice après la Guerre avant de prendre la tête en 1956 de l'école de Bad Harzburg (en Basse-Saxe), qui se voulait le Harvard de la RFA.
Ce passionné de stratégie militaire proposa un nouveau modèle, le management par délégation de responsabilité. Le principe là encore, c'est de fixer les objectifs et de laisser une grande autonomie pour les atteindre. Ce qui transfère, note Höhn, "une partie de la responsabilité vers le niveau qui a pris en charge l'action".
Alors plus modernes que jamais les nazis ? Je vous en laisse juge. Tout comme je vous laisse soin de trancher la grande question qui se pose en refermant l'ouvrage de J.Chapoutot : Est-ce bien un principe de darwinisme social qui régit aujourd'hui notre monde du travail ?
Publié le vendredi 28 février 2020 . 3 min. 57
D'APRÈS LE LIVRE :
Libres d’obéir: Le management, du nazisme à aujourd'hui
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