La suprématie croissante des entreprises sur le fonctionnement du marché
Publié le mardi 12 mars 2019 . 3 min. 28
Dans nos économies de marché, pourquoi existe-t-il des entreprises ? Cette question est purement théorique. Y répondre ne fera pas progresser la pratique du management. Mais c’est une question intellectuellement intéressante à laquelle Ronald Coase et Oliver Williamson ont apporté une réponse assez convaincante qui leur a d’ailleurs valu à chacun de recevoir le prix Nobel. Et cette réponse met en évidence un double paradoxe.
Coase et Williamson ont expliqué que les mécanismes du marché touchent leurs limites quand les transactions qui s’opèrent sur le marché atteignent un coût trop important. Si le coût de la transaction est trop élevé (pour trouver un fournisseur, pour négocier, pour payer le prix demandé, pour se faire livrer en temps et en heure et au bon endroit, au bon niveau de qualité), alors l’acheteur a plutôt intérêt à faire lui-même, à intégrer l’activité, c’est-à-dire à construire en son sein une capacité à satisfaire son propre besoin. Ce qui signifie que l’acheteur potentiel se détourne alors du marché, pas assez efficace, et qu’il choisit de faire en interne, au sein de sa « hiérarchie ». Il évite ainsi le surcoût de la transaction.
D’où deux mécanismes économiques fondamentaux,
d’une part le « marché », (qui par le jeu de la concurrence opère comme un puissant aiguillon poussant à l’amélioration de la performance, à la réduction des coûts et à l’innovation)
d’autre part la « hiérarchie », c’est-à-dire l’organisation (à savoir l’emboîtement intégré d’activités au sein d’une même entité, opérant comme une hiérarchie qui ne passe plus commande à un fournisseur, mais qui agit selon les consignes données en interne).
Selon la théorie des coûts de transaction, trois mécanismes sont à l’œuvre pour préférer la « hiérarchie » au « marché » :
la fréquence de la transaction : un acteur ne pensera pas à intégrer en interne un savoir faire dont il n’a besoin qu’exceptionnellement, comme de recourir à un architecte ; à l’inverse, il intègrera plus logiquement une compétence nécessaire au quotidien
l’incertitude : face à un marché amont tendu sur certains approvisionnements, plutôt que de courir le risque de ne pas être réalimenté en temps et en heure, l’acteur peut préférer intégrer l’activité en son sein
des actifs spécifiques : quand rares sont les acteurs sur le marché qui disposent d’une machine indispensable pour une fourniture, l’acteur peut préférer acquérir l’équipement rare pour s’autoalimenter.
En ce sens, la théorie des coûts de transaction (fréquence, incertitude, actifs spécifiques) explique pourquoi les entreprises ont émergé pour pallier les déficiences du marché.
Mais alors un double paradoxe apparaît : Si l’échec des économies planifiées, par essence hiérarchisées, n’est plus à démontrer, ce sont les limites de l’économie de marché qui conduisent à d’autres formes de hiérarchies, celle des organisations, celle des entreprises.
Deuxième paradoxe : avec le développement des entreprises en nombre et en taille, et malgré la complexification des chaines de valeur, il est fort possible que le nombre de transactions intégrées aux hiérarchies soit devenu supérieur au nombre des transactions opérées sur la marché, ce qui relativiserait notre conviction de vivre en économie de marché.
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de Thomas Durand
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