Il semblerait que le thème de l’innovation ne soit plus en tête des agendas managériaux. La performance économique, d ans son sens le plus brutal et massif, semble avoir pris le dessus dans les discours à la mode, avec des performances financières assez renversantes affichées par certains grands groupes malgré un contexte mondial chahuté et inquiétant.
Il importe de faire la part des choses, à savoir que l’entreprise est structurellement attendue tout à la fois (en même temps) sur l’efficacité de ses opérations (gage de rentabilité), sur ses positionnements stratégiques (et son business model) et sur sa capacité à régénérer ses activités et à préparer son futur. Pour simplifier séparons les choses en deux blocs : d’un côté les opérations, de l’autre l’innovation et le stratégique.
Un auditeur du DBA du Cnam que j’ai accompagné dans le travail d’écriture de son essai, Christophe Clavé, a choisi de construire son travail de DBA à partir d’un constat simple mais fort. Il raconte qu’une partie importante de sa carrière s’est déroulée au sein d’un grand groupe multinational où il a développé une business unit basée en Europe. Chaque semaine il réunissait son Comex et déroulait le même agenda : les résultats de la semaine et du mois écoulés, les difficultés rencontrées, les écarts avec la trajectoire planifiée dans le budget, les actions correctives à prendre pour retrouver une trajectoire compatible avec les objectifs convenus avec la direction générale du groupe (ventes, cash flow, carnet de commande, profitabilité, etc.). Et s’il restait un peu de temps, ce qui était visiblement rarement le cas, alors on consacrait quelques minutes à parler d’innovation, de nouvelles activités, de régénération des offres et des business, de développements nouveaux. Au total, d’innovation, ils ne parlaient guère. Ils n’en avaient pas le temps. Ou plutôt, ils ne prenaient pas le temps nécessaire.
Christophe Clavé confesse qu’ils étaient pourtant conscients d’opérer dans un monde qui exigeait des entreprises une capacité à se forger des avantages concurrentiels nouveaux. En ce sens, l’innovation aurait dû être au centre de leur attention managériale. Ce n’était objectivement pas le cas. Avec le recul du temps, cette question n’a cessé de le tarauder.
Et Christophe Clavé en est arrivé à une proposition simple et claire en forme de slogan : « l’innovation partout, par tous et tout le temps ». Emporté par son élan, il a même ajouté un codicille drastique à sa proposition consistant à inverser les priorités pour centrer le Comex sur l’innovation et le stratégique en n’accordant plus qu’une part moindre de son temps au suivi des opérations.
Nous avons longuement discuté lui et moi du poids relatif à accorder à ces deux volets, lui se reprochant de ne pas avoir agi plus tôt et poussant le curseur sans doute un peu trop loin, dans l’espoir de réussir à faire évoluer les pratiques, moi suggérant de trouver un équilibre raisonnable dans l’attention accordés par le management d’un côté àl’innovation et à la stratégie (pour préparer la suite) et de l’autre côté aux opérations (pour gagner son pain quotidien).
C’est un beau débat, qui n’a pas à trouver de réponse toute faite et encore moins définitive. Cependant il est possible d’apporter des éclairages à ce débat. La littérature dispose d’un concept, celui d’ambidextrie pour décrire l’enjeu de concilier l’activité opérationnelle (l’exploitation) et l’activité d’innovation (l’exploration). Notons que l’ambidextrie est, à l’origine, une notion individuelle (la capacité à utiliser sa main gauche comme sa main droite, et inversement). Cette notion individuelle a été métaphoriquement extrapolée aux organisations. On peut en comprendre conceptuellement l’intention. Pour aller un pas plus loin, il est légitime de considérer que la position du curseur de l’ambidextrie (mesurée en attention accordée aux deux volets exploitation / exploration et par exemple en temps passé en Comex sur l’un ou l’autre) n’a pas à être définie une fois pour toute mais peut varier selon les segments stratégiques et selon les périodes, voire selon les fonctions.
Notons qu’au-delà de sa proposition « l’innovation partout, par tous, tout le temps » et de son complément consistant à inverser les priorités Exploitation-Exploration, Christophe Clavé propose un cadre pour penser l’innovation autour de six moteurs (« La technique et la technologie comme sources d’innovation » ; « le partage et la création de savoirs » ; « la recombinaison de pensées ouvertes pour accéder à l’intelligence collective » ; « L’entreprise apprenante dans un cadre organisationnel favorable » ; « Le nouveau rôle du management pour promouvoir l’innovation » ; « Le système de management et de gestion de l’entreprise »).
Pour ceux qui pourraient être intéressés par l’ouvrage de Christophe Clavé, il est programmé pour paraître cet automne, publié aux Editions du Panthéon. A ne pas manquer.
Publié le lundi 16 décembre 2024 . 5 min. 03
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