L’industrie de l’armement française surfe sur le niveau record des ventes d’armes mondiales. En toile de fond, il y a la montée de la conflictualité dans le monde, qu’elle soit :
1) étatique, c’est-à-dire issue d’un affrontement entre deux États, ou entre un Etat et un groupe rebelle, ce que la plupart des gens appelle « guerre » ;
2) non-étatique, comme les conflits inter-ethniques, inter-cartels ou bien encore une conflictualité qualifiée de « violence unilatérale » qui fait référence à l’utilisation de la force armée contre des civils, de la part d’un État ou d’un groupe armé.
Après être descendu à 81 en 2010, le nombre de conflits a plus que doublé depuis et dépasse
160 depuis 2017.
Un marché d’au moins 420 Md$ en 2018, hors Chine
Cette montée de la violence, s’est accompagnée de celle des dépenses militaires dans le monde en hausse de 13% en dollars constants entre 2008 et 2018. En dollars courants, la somme des budgets annuels de Défense dépasse désormais 1 800 Md$, soit l’équivalent de 2,1% du PIB mondial.
C’est dans ce contexte de hausse des dépenses militaires qu’évolue le marché des ventes d’armes ce qui est profitable aux grands pays producteurs d’armement et à leurs entreprises. Résultat : l’activité des 100 plus grandes entreprises du secteur a atteint 420 Md$ en 2018, en hausse de 4,6% sur 2017 en dollars constants et de 47% depuis 2002. Et encore, le chiffre réel est bien plus élevé car les entreprises chinoises, faute de données fiables, sont exclues de l’analyse. Or la Chine, c’est un budget Défense en hausse constante : sur les cinq dernières années, c’est plus de 1 000 Md$ dépensés, c’est certes trois fois moins que les États-Unis, mais trois fois plus que les plus proches poursuivants dont la France en 5e position.
Or, s’il y a 10 ans, l’empire du Milieu dépendait encore largement des importations russes et ukrainiennes pour son armement, ce n’est plus le cas aujourd’hui comme le montre le lancement en décembre 2019 de son premier porte-avions 100% « made in China ». Si les chiffres relatifs aux ventes d’armes des entreprises chinoises restent difficiles d’accès, les estimations de l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (le Sipri) place la Chine à la 2e place, loin derrière les États-Unis, mais loin devant la Russie et le Royaume-Uni qui sont au coude-à-coude. La France, avec plus de 20 Md$ de ventes, se retrouve comme le 5e plus grand producteur d’armes au monde.
La France, 3e exportateur d’armes
Cette hiérarchie, c’est aussi celle de la force des marchés intérieurs, de la volonté d’autonomie en matière d’armement et des différentes puissances militaires. Les données sur le commerce extérieur donnent une autre information, celle de la place prise par ces pays dans le commerce mondial d’armement et les positions bougent. Si les Etats-Unis restent numéro 1, ils partagent le leadership avec la Russie. Ce duo c’est plus de la moitié des exportations mondiales d’armes. En troisième position, la France, avec 7% de parts de marché, devant l’Allemagne et la Chine dont l’essentiel de la production d’armes est en fait destinée à l’Armée populaire.
Cette place de numéro 3 de la France repose principalement sur 6 groupes : Thalès, Naval Group, Safran, Dassault Aviation, le CEA et Nexter, groupe industriel d’armement terrestre — fabricant du char Leclerc notamment — liste à laquelle il faut ajouter Airbus, 7e fabricant d’armes mondial, et MBDA, groupe européen figurant parmi les principaux fabricants de missiles mondiaux, dont Airbus et BAE sont actionnaires principaux.
Cette force de frappe permet à la France de s’imposer sur tous les continents avec un centre de gravité qui penche néanmoins nettement vers le Proche et Moyen-Orient, malgré un recentrage récent vers les pays européens. La place de l’Inde s’explique grâce aux premières livraisons du contrat des 36 avions Rafale passées en 2016. Sur 10 ans, les 10 premiers clients, c’est 30 Md€ d’exports de matériels.
Et c’est en 2019, un excédent de 5 milliards contre 1,3 milliard en 2000. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg car cela ne recouvre pas les services, des contrats qui peuvent courir sur plusieurs dizaines d’années. Pour un pays qui ne parvient pas à équilibrer ses comptes extérieurs, c’est précieux.
Faut-il s'en réjouir ou s'en désoler : la France est un gros marchand d’armes. Mais ici comme ailleurs, ses positions sont menacées. Par la montée de la Chine sur la scène internationale, un pays non-signataire du Traité sur le commerce des armes adopté en 2013 par l'ONU pour moraliser ce commerce. Par des loupés stratégiques comme celui des drones, un énorme fiasco, qui a poussé à l’acquisition de matériels américains, un grand coup de canif dans le principe d’autonomie stratégique et industriel de la France.
Publié le mardi 3 mars 2020 . 4 min. 38
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