Après avoir disparu des radars pendant des années, l’inflation est revenue et va rester :
1. parce qu’il ne faut pas surestimer le potentiel déflationniste de l’énergie et de l’alimentaire. Que ce soit pour le pétrole ou pour le gaz naturel, les cours en euros depuis le début de l’année se situent nettement en dessous de ceux de 2022 et ont donc désormais un impact désinflationniste ;
2. si les foyers déclencheurs de la hausse des prix ont vocation à s’apaiser cette année, cela ne signifie pas pour autant que l’inflation suivra le même chemin, car en se prolongeant, elle a enclenché de nouvelles boucles qui l’auto-alimentent.
Moins de tensions sur les prix de l’énergie et de l’alimentaire en 2023
Si le diagnostic global semble clair, reste à l’affiner :
• Côté or noir, le potentiel de baisse va vite se heurter à la remontée de la consommation à la suite du retour à la normale du trafic aérien mondial et du redressement chinois. La production suit sans trop de difficultés, mais il n’y a pas de surabondance, ce qui ne laisse pas entrevoir une spirale baissière des cours.
• Idem pour le gaz naturel, avec en plus à prendre en compte que le remplissage des stocks à ras bord par du gaz russe (comme à l’été 2022) pour préparer l’hiver n’est plus possible et que les circonstances particulières (faible demande d’énergie dans le monde avec la décélération de la croissance, douceur de l’hiver en Europe) sont par définition non reproductibles. Il est donc vraisemblable que les marchés du gaz naturel et de l’électricité soient plus tendus l’hiver prochain.
L’énergie contribuera à modérer l’inflation cette année, pas en 2024.
L’alimentaire s’inscrit dans la même séquence. Alimentés pas les craintes de pénuries sur les céréales, les cours ont flambé avant de redescendre, mais ils restent élevés avec, en arrière-plan pour ces prochaines années, l’augmentation de la consommation mondiale et les répercussions sur les récoltes du dérèglement climatique.
L’inflation se déplace sur des composantes plus internes au système productif
Si les foyers déclencheurs de l’inflation vont temporairement s’apaiser, ils ont suffisamment nourri la hausse générale des prix pour la faire entrer dans une deuxième phase. Ce n’est plus tant la composante consommation intermédiaire, boostée par le prix des matières premières, qui constitue le principal carburant de la hausse des prix, mais bien plus la rémunération des facteurs de production, autrement dit les effets de second tour. Cela s’observe aussi bien par l’accélération des prix à la consommation des biens industriels en France comme en Europe que part celle des services. C’est un double marqueur. Celui de la diffusion du choc énergétique et alimentaire à l’ensemble du système productif, mais également du déplacement des déterminants de l’inflation venus d’abord de l’extérieur vers des composants plus internes, des salaires notamment.
En hausse de 4% dans le privé en France, ils ont connu une hausse record en 2022, ne serait-ce parce qu’une partie des rémunérations est mécaniquement indexée sur l’inflation, c’est le cas notamment des salaires proches du SMIC. À cela s’ajoutent les revendications plus générales des salariés dans un contexte de hausse rapide des prix à la consommation. Des revendications en partie satisfaites, car une autre variable et aussi entrée en ligne de compte pour faire pression sur les salaires : les tensions sur le marché du travail. Avec que ce soit en France, comme en Europe, un taux de chômage au plus bas et un taux d’activité au plus haut. Bref, un rapport de force en faveur des salariés parce que les entreprises peinent à recruter et qu’elles tiennent à conserver le personnel en place. Cette rareté de la main-d’œuvre est devenue un phénomène structurel dans les pays occidentaux et va se renforcer. L’inflexion date de 2010 avec la baisse de la part de la population en âge de travailler, qui ne fait que commencer. Le rapport de force entre travail et capital se rééquilibre et dans les pays les plus proches du plein emploi, cela se voit déjà : la boucle-prix-salaire s’est amorcée.
Second élément, les comportements de report de la hausse des coûts sur les prix de production surprennent par leur ampleur par rapport à l’idée que l’on peut se faire des pressions concurrentielles. Les prix de production hors énergie ont fait une embardée de très forte ampleur, sans commune mesure avec les autres un choc de prix sur les matières premières, comme en 2008 ou 2011. Nos structures de marché ont évolué. Avec une concentration qui ne cesse de s’accroître. Sous l’égide des fonds d’investissement, le poids des oligopoles à fort pouvoir de marché s’élève, et les comportements de marge, moins défensifs que par le passé, en portent la marque. En France, entre le début et la fin 2022, le taux de marge a gagné 0,7 point alors que l’inflation passait sur la même période de 3,7 à 6,1%, signe qu’une seconde boucle « prix-profit » s’est également mise en place… avec ce bémol : elle se concentre sur une poignée de secteurs.
Le choc déclencheur de l’inflation va momentanément se résorber. Mais les boucles de transmission par les marges et par les salaires sont déjà enclenchées. Dans ces conditions, miser sur une autocorrection spontanée devient une hypothèse de moins en moins solide et l’espoir d’une normalisation rapide de l’inflation vers la cible de 2% s’éloigne.
Publié le mardi 28 mars 2023 . 4 min. 53
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