Vidéo réalisée en partenariat avec Les Journées de l'Economie 2023 "Surmonter nos fragilités".
Le capitalisme a toujours fait montre d’une certaine capacité à s’adapter aux crises multiples qu’il a traversées.
C’est ce qu’avaient bien montré dans l’ouvrage le nouvel esprit du capitalisme Eve Chiapello et Luc Boltanski. Ces auteurs n’évoquaient cependant pas tant l’adaptation du capitalisme aux crises mais plutôt la capacité de récupération de la critique par ce capitalisme.
Si la récupération par la critique vise des adaptations, disons, incrémentales, il est rarement question de grandes transformations pour régler de manière structurelle les causes des crises multiples.
Une des raisons en est qu’on observe des résistances stratégiques pour penser la révolution des modes de production, de consommation et de distribution contemporains.
L’inertie des logiciels de pensée constitue une de ces résistances stratégiques. Or, les concepts des économistes mainstream sont faibles et parfois fallacieux pour rendre compte des multiples effondrements auxquels les sociétés doivent faire face.
Si en effet, cette économie mainstream s’est emparée depuis fort longtemps de la problématique de l’environnement et des ressources naturelles, elle l’a strictement envisagée en déclinant son modèle de base, celui du marché, des défaillances de marché et des externalités.
Pourquoi est-ce un problème ?
Parce que, pour ces économistes, le désastre ne serait lié qu’aux « externalités », c’est-à-dire aux effets incidents des activités de production ou de consommation et non valorisés en couts et qui pourtant nuisent à des tiers.
- Les pollutions seraient une externalité du système,
- le changement climatique serait une externalité du système,
- l’effondrement de la biodiviversité serait une externalité du système
Pour un autre pan de l’économie au contraire, en particulier l’économie écologique (Joan Martinez-Alier en est un bon porte-parole), les effets négatifs du capitalisme ne sont pas du tout sporadiques : ils ont un caractère systémique. Penser avec le concept d’externalité est pour l’économie écologique inopérant pour rendre compte de l’empreinte laissée par le capitalisme, et ses dynamiques extractivistes sur la nature. Ce concept ne permet pas de souligner à quel point les dégâts écologiques sont consubstantiels de l’activité anthropique, et de son hubris.
L’économie de marché développe non seulement le concept d’externalité mais aussi l’idée que les crises ont des causes externes au système.
Cette narration d’une extériorité des crises et catastrophes est commode à plus d’un titre.
- Elle permet de s’exonérer des contradictions internes du système
- Elle permet de s’exonérer d’une analyse sur les responsabilités structurelles des crises ou de cet effondrement
- Elle permet aussi de faire tourner en boucle les mêmes modèles, en jouant de la critique interne, et en modifiant les paramètres des modèles.
Plus généralement, l’économie de l’environnement fait du marché la seule institution légitime.
Dans cette perspective, les dispositifs de régulation sont pour l’essentiel les signaux prix et les nouveaux marchés qu’on songe aux taxes carbones, ou aux marchés carbone.
Les dispositifs de compensation relèvent de la même philosophie. La compensation est mobilisée pour « réinternaliser » les externalités, mettant en place une sorte de commerce contemporain des indulgences (aux ‘émissions de gaz à effet de serre’, on répond ‘compensations’).
Là encore, les sciences de l’écologie, sur lesquelles s’appuie l’économie écologique, montrent que la réparation à l’identique n’est jamais possible, et que l’imaginaire de la compensation « autrement » et « ailleurs » (par exemple planter quelques arbres en contre partie des km parcourus en avion) n’est compatible ni avec les multiples effets d’aubaine qu’elle permet, ni avec l’urgence des désastres en cours et à venir.
Publié le jeudi 09 novembre 2023 . 4 min. 47
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