L’élection indiscutable de Trump à la présidence des Etats-Unis ne peut que susciter l’inquiétude (pour rester optimiste) compte tenu de la personnalité de l’individu, familier des provocations et des outrances verbales, mais surtout des annonces qu’il a faites sur à peu près tous les sujets. Que ce soit sur le climat, les femmes, l’immigration, le soutien à Netanyahou, l’admiration pour Poutine, la lutte contre ses « ennemis de l’intérieur » avec le recours à l’armée), l’accentuation des inégalités avec une politique pro riches, il faut s’attendre à une régression sans précédent de la vie démocratique aux USA accompagnée d’ondes de chocs sur le monde entier qu’il est évidemment trop tôt pour anticiper en détail, mais dont on ne peut pas douter qu’elles se produiront.
Mais une fois passée la sidération devant un événement, certes redouté dès le début de son annonce de candidature mais auquel on espérait échapper quand même on ne peut que s’interroger sur les raisons de cette victoire.
Plusieurs explications ont été avancées comme le décalage entre le sentiment d’un grand nombre d’Américains d’une dégradation de leur niveau de vie et la vision d’une économie prospère que les démocrates mettaient en avant, ou la campagne agressive de Trump menée au nom d’une guerre des races, théorisée depuis plus de 20 ans par des intellectuels ultra-conservateurs, et qui a conduit les électeurs à faire le choix du plus guerrier qui était le meilleur pour eux dans le cadre de la guerre des races où ils étaient placés.
Mais on peut avancer une autre explication à cette victoire qui serait due à la profonde crise anthropologique que connaît le capitalisme mondial.
Celui-ci naturalise la consommation comme un moment nécessaire de l’activité humaine souvent vécue comme une émancipation personnelle, voire politique, qui caractérise notre monde et conduit à un rétrécissement de l’horizon intellectuel de tous ceux qui s’y laissent prendre.
Ce n’est donc pas que les Américains soient des abrutis, mais qu’ils sont de plus en plus formatés au travers des innombrables sollicitations qui modèlent petit à petit leurs personnalités à ne devenir que des consommateurs tous pareils mais tous en concurrence, puisque ce que l’on consomme devient de plus en plus le signe de son statut social. C’est le syndrome de « la Rolex à cinquante ans » étendu à la totalité de ce que l’on consomme.
Et comme la consommation disparaît une fois la marchandise consommée, c’est un éternel recommencement qui incite au raisonnement à court terme centré sur ce que l’on peut acquérir tout de suite.
En ne pensant qu’à ce qu’il peut obtenir ici et maintenant, l’individu en oublie qu’il est pris dans des rapports sociaux qui le déterminent.
Cet engrenage qui prend évidemment dans le pays capitaliste le plus développé une dimension qu’il n’a pas encore atteint ailleurs mais qui y est également à l’œuvre rend les individus indifférents aux problèmes de long terme comme le climat et la perte de biodiversité avec leurs conséquences dramatiques tout en les focalisant sur leur rapport aux autres vécus comme des luttes pour leur propre survie sociale.
Les autres, sont soit des concurrents en tant que consommateurs désirant les mêmes marchandises, soit des obstacles à écarter parce qu’ils n’auraient pas le droit d’y avoir accès du fait de leur statut particulier (immigré, race, genre, sexualités, minorités diverses…).
Ce faisant, devenir un être humain sous un capitalisme en crise profonde se fait sous des contraintes de plus en plus fortes qui ne peuvent que peser sur les personnalités de ceux qui les subissent.
La crise anthropologique qui en résulte et qui n’opérait pour l’instant qu’à bas bruit, s’est traduite aujourd’hui au plan politique par l’élection de Trump vu comme le héraut d’un présent sans futur, promettant la jouissance immédiate dans la consommation.
« Sortir » du capitalisme devient de plus en plus urgent mais l’élection de Trump en accélère une sortie vers le pire.
Publié le lundi 06 janvier 2025 . 4 min. 18
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