Xerfi Canal présente l'analyse de Thibault Lieurade, journaliste Xerfi Canal
"C’est un rituel immuable : quand vient l’été, des milliers d’étudiants se lancent dans un tour de France des écoles de commerce à la recherche, plus que d’un véritable projet pédagogique, d’un passeport pour leur carrière professionnelle : une ligne de CV qui les suivra toute leur vie. Cette ligne de CV, elle représente l’entrée dans le club fermé des anciens élèves, et même pour les prestigieuses, un véritable anoblissement aristocratique. Voilà un rite bien français où un titre académique serait assimilé à une assurance pour la vie en termes de débouchés, d’avenir professionnel et de revenus futurs. Il est vrai, que les noms des écoles les plus prestigieuses sont un sacré coup de pouce pour obtenir des stages attractifs, puis un premier poste salarié. Mais attention toutefois à ne pas accorder trop de crédit aux informations divulguées par la presse – mais aussi par certaines écoles - sur la rapidité de l’insertion professionnelle et les niveaux de salaires. Mais passons… Cette ligne de CV si convoitée, elle fonctionne désormais comme une véritable marque commerciale. La marque qui désigne l’école de commerce – on dit aujourd’hui plutôt la « business school » - doit ainsi signifier une identité. Pas seulement un projet pédagogique, mais aussi une véritable image reconnue, signe d’une sélection distinctive, d’une véritable promesse de produit pour l’étudiant et ses parents qui devront payer des droits de scolarité élevés. La marque est également censée représenter une garantie de qualité du diplômé pour le futur employeur. On aura compris que pour les écoles, qui doivent remplir leur promotion, cette marque qui se retrouvera sur les CV obéit impérativement à une logique commerciale. La conséquence, c’est que les écoles ont désormais pour la plupart une véritable stratégie de marque. C’est ce qui explique la vague de rebranding qui déferle sur les écoles de commerce depuis une dizaine d’années. Tour à tour, les écoles sont rebaptisées. L’ESC Nantes avait été précurseur en se rebaptisant Audencia dès l’année 2000. Depuis, au gré des stratégies marketing et des fusions d’écoles, le sigle ESC s’estompe au profit des BS (pour business school), des EM (pour Ecoles de Management), comme Grenoble, et pour les plus créatives en termes de communication en néologismes tels que SKEMA, KEDGE, FRANCE BUSINESS SCHOOL. Et on n’a sans doute pas encore tout vu…. Ce grand toilettage identitaire répond à un double objectif. Le premier, c’est de s’extraire d’une identité régionale et se donner une vocation géographique plus large, nationale, voire internationale pour les écoles les plus ambitieuses. C’est indispensable sur un marché de la réputation, largement régulé par des dispositifs de jugements, sous forme de classements publiés par la presse et par la course aux accréditations. Il faut bien le reconnaître, les écoles de commerce subissent cette loi des classements divers et variés, publiés chaque année par la plupart des news magazines français, et au plan international par le Financial Times. À l’origine, les écoles de commerce avaient été fondées par des chambres de commerce pour fournir des comptables et des commerciaux au tissu économique local. Depuis, leur niveau d’ambition a évolué, et elles sont sorties de leur bassin d’origine pour se donner une vocation nationale. L’objectif est désormais de conquérir le marché international, et d’attirer un maximum d’étudiants étrangers. La marque doit donc être moins réductrice, moins franchouillarde, et surtout plus lisible hors des frontières. En vérité, une seule marque a vraiment atteint une véritable reconnaissance internationale : HEC, devenue HEC Paris après avoir elle aussi succombé à la vague du rebranding. Pour ce qui est de la reconnaissance au niveau européen, on peut sans doute rajouter l’Essec, l’ESCP Europe, et à un degré moindre deux ou trois écoles de province, mais la liste est encore courte. Et puis il y a un second objectif commercial prioritaire : devenir plus attractif pour les candidats qui ne sont pas passé par la case prépas. Des étudiants qui n’ont pas subi l’évangélisation de deux ou trois années de classe préparatoire, qui ne maîtrisent pas les classements d’écoles comme les 10 commandements, et en savent encore moins que les bêtes à concours sur les positionnements respectifs des écoles - pas forcément toujours très facile à décrypter d’ailleurs, aussi bien pour les étudiants que pour leurs futurs employeurs. Cet enjeu des étudiants hors prépas est devenu primordial pour la plupart des écoles, en particulier pour les moins réputées. C’est pour elles un enjeu financier considérable car il faut à tout prix remplir les promotions, alors que l’offre est devenue surabondante. Les admissions dites « parallèles » sont devenues au fil du temps…. essentielles, et même vitales. Elles représentent désormais plus de 60% de l’ensemble des promotions de la Conférence des grandes écoles, et bien davantage quand on descend dans les fameux classements. Notons aussi que cette proportion gonfle d’année en année. On comprend que sur un marché aussi opaque, la puissance de la marque devient un atout considérable. Outre le programme grande école, il y a aussi l’objectif de vendre des Master spécialisés, des MBA et de la formation continue – et là, même les plus prestigieuses sont concernées. Aujourd’hui, un master spécialisé d’une grande marque parisienne peut se vendre de 15.000 à 20.000 euros, celui d’un Executive MBA à HEC plus de 50 000 euros. La valeur de la marque fait le prix. Et sur le marché international, la concurrence est rude. Comment convaincre un étudiant Chinois d’aller à HEC plutôt que Yale, Stanford, ou la London School of Economics ? Certes le charme de Paris est une force d’attraction… même à Jouy en Josas ou à Cergy-Pontoise. A ce propos, la marque absolue, ce serait sans doute la Sorbonne Business School, car l’université parisienne dispose du seul nom dont le prestige historique et la notoriété sont universels, et pourrait se comparer à Harvard, Berkeley, Oxford ou Cambridge. Mais là on rêve… Nous sommes en France. Par contre, on l’aura compris, pour nombre d’écoles de province, l’affaire se complique. D’ailleurs plusieurs d’entre elles ont décidé d’ouvrir un campus annexe…dans la capitale. La conséquence de ces stratégies de marques attractives, c’est que le contenu et la qualité des cursus passe trop souvent au second plan. Le budget de communication, celui lié à la stratégie d’accréditation et au recrutement d’une poignée de professeurs star a déjà aspiré une part substantielle des ressources financières. Alors qu’importe si des cours sont parfois délivrés dans des amphis de 80 étudiants pour un MBA, qu’importe si les étudiants de programmes grandes écoles disposent de larges, très larges plages pour s’engager dans des associations de tous poils, voire carrément dans des activités extra-scolaires. Qu’importe en effet, car cela permet d’alléger les budgets de l’école, plutôt que d’investir massivement dans un cursus de formation de qualité. Dans la plupart des cas, la notoriété de la marque compte bien plus que le projet pédagogique et la compétence acquise. Quant à la véritable identité de la marque et sa vraie force pour les employeurs, c’est une autre histoire. "
Thibault Lieurade, Ecoles de commerce : du projet pédagogique à la stratégie de marque, une vidéo Xerfi Canal
Publié le jeudi 18 avril 2013 . 7 min. 58
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