Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le consumérisme moderne est tout sauf matérialiste. On regarde souvent la société de consommation sous l’angle de la production, de la possession et de l’accumulation. C’est le fameux récit que prodiguent à loisir les écoles de commerce qui présentent le marketing comme une invention du XIXème siècle. Ce dernier aurait servi à trouver des débouchés à l’industrie américaine du fait d’une surproduction engendrée par l’industrialisation de la production et la massification de l’offre. Le déploiement de la société de consommation dériverait de l’évolution du système productif et n’en serait finalement que la conséquence et non le moteur. Cette logique productionniste, en plus d’être extrêmement réductrice, est aujourd’hui largement remise en cause par les historiens de la consommation.
Et si la société de consommation prenait racine dans l’histoire des mouvements littéraires, et plus particulièrement dans le romantisme ? Cette thèse très originale a été développée de manière très convaincante par le sociologue anglais Colin Campbell. Certes il ne s’agit pas d’un romantisme de pacotille, celui inventé par le marketing, qui s’incarnerait dans les codes du dîner aux chandelles, de la balade en gondole ou du bouquet de roses rouges ! Il est plutôt question d’un mouvement littéraire qui a considérablement affecté la sensibilité européenne à partir du XVIIIème siècle. Le romantisme est lié à l’essor du sentimentalisme, pratique consistant à cultiver et exprimer l’émotion pour elle-même. C’est d’ailleurs ce sentimentalisme qui a contribué à justifier l’amour entre deux êtres comme raison suffisante pour le mariage.
Le romantisme consiste en fait selon Campbell à s’opposer aux systèmes rigides pour valoriser l’impulsion vers le chaos, la rébellion, le désordre, la créativité et l’imagination, qui sont perçus comme autant d’expressions d’un soi libéré des contraintes extérieures. Le romantisme s’appuie d’ailleurs sur l’invention moderne de l’intériorité et sur la valorisation de l’émotion comme expression de cette intériorité. Cela explique en grande partie pourquoi nous vivons aujourd’hui dans un capitalisme émotionnel.
Face à l’égoïsme calculateur qu’emblématise l’homo consumans forgé par l’économie, le romantisme valorise le plaisir, la jouissance, l’évasion, la fantaisie, la mélancolie, mais aussi l’irrationnel, l’étrange, le curieux et surtout la quête du nouveau.
En valorisant le nouveau, la création, l’expression de l’affect et en s’opposant aux conventions et aux règles sociales et morales issues du passé, l’éthique romantique a contribué à légitimer le consumérisme, érigeant ainsi la consommation en ethos social dominant. C’est cette éthique romantique qui a permis à la consommation d’être mise au service de l’expressivité et de la réalisation du soi.
Mais il est important de comprendre que l’éthique romantique ne fait pas que la promotion de la création et de la nouveauté. La capacité ainsi offerte aux individus d’exprimer leur identité grâce à la marchandise incarne un hédonisme que l’on peut qualifier d’imaginatif. L’être romantique se caractérise pour Campbell par sa capacité à retirer du plaisir d’expériences imaginaires. C’est donc la rêverie qui est à l’origine du plaisir. Et le fait même de désirer devient une activité agréable. A tel point que le désir se substitue au fait d’avoir, il devient l’objet même de la quête de plaisir. Ce ne sont donc pas les produits qui apportent de la satisfaction au consommateur, mais un plaisir tiré d’expériences illusoires et des images qui leur sont associées. Ce plaisir imaginatif nous fait comprendre pourquoi l’image des produits et des marques est en fait beaucoup plus importante que le produit lui-même. Consommer signifie alors jouir davantage des images que des objets. Voici pourquoi la société de consommation est en fait une société des images.
Publié le mercredi 01 septembre 2021 . 4 min. 57
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