Les entreprises ont-elles raison de vouloir sortir de leur « couloir de nage » ? Ont-elles raison de vouloir peser sur le débat public, de se positionner dans le jeu politique, ou d’afficher leur « wokisme » ? Certaines sont convaincues que ces prises de position sont bénéfiques pour leur marque employeur ; d’autres veulent profiter de la confiance que les citoyens leur accordent toujours, alors qu’ils l’ont retirée aux politiques. Mais est-ce un bon calcul, commercialement parlant ? Trois exemples incitent à répondre par la négative.
Le cas le plus emblématique est sûrement celui de Disney. Pour ne pas risquer de froisser la sensibilité d’une communauté, Disney a passé plus de temps à effacer ou transformer des personnages qu’à inventer de belles histoires. Le PDG nommé en 2005, Bob Iger, un démocrate affiché, ne s’était pas caché de vouloir faire du groupe un fer de lance de la diversité. Il s’était mis à traquer ce que les activistes woke appellent le « racisme systémique ». Les corbeaux de Dumbo, le petit éléphant du dessin animé éponyme, véhiculaient des clichés racistes contre les Noirs. Les siamois des aristochats s’attaquaient à la communauté asiatique. Les peaux-rouges dans Peter Pan pouvaient être embarrassants. Les traits moyen-orientaux des voleurs dans Aladin et la Lampe merveilleuse étaient stigmatisants. Ces dessins animés ont été retirés de la partie Enfants de la plate-forme, il faut une désormais une autorisation parentale pour les voir.
Le comble du ridicule a été atteint quand deux journalistes américains ont accusé le film Blanche-Neige de promouvoir la culture du viol à cause de la scène finale où le Prince réveille Blanche-Neige avec un baiser « non consenti » (évidemment, puisqu’elle est inconsciente). Ne riez pas : dans la version qui sortira en 2025, cette scène a été coupée ! Comme l’a dit l’actrice métisse qui jouera le rôle de Blanche-Neige : « on n’est plus en 1937 », la jeune fille ne rêvera pas de prince et de grand amour, mais voudra « devenir une leader ». C’est moins romantique… et sûrement moins émouvant. Quant aux 7 nains, comme ils stigmatisaient les personnes de petite taille, ils ont été remplacés par des créatures magiques de toutes les couleurs et de tous les sexes. Fini les Simplet, Grincheux ou Dormeur qui nous ont émus de génération en génération.
Pour respecter leur programme d’inclusivité, les studios ont refusé pléthore de scénarios « tradi », et sans doute jeté le bébé avec l’eau du bain. Résultat ? La firme s’est mise à perdre de l’argent, elle a reculé de la 4ème à la 77ème place des entreprises préférées des Américains, et sa valeur boursière a été divisée par deux. Mais il semble qu’une prise de conscience ait eu lieu et que pour les prochaines années, on revienne aux belles histoires.
Disney n’est pas seul à s’être fourvoyé. Le brasseur Budweiser a perdu une bonne partie de sa clientèle à cause d’une campagne publicitaire détonante convoquant Dylan Mulvanay, un célèbre « trans » américain. Même sortie de route pour Gillette, dont les clients conservateurs n’ont apparemment pas apprécié la campagne mettant en scène, pour vendre ses rasoirs, des représentants de la communauté LGBT+ (et notamment le YouTubeur Simon Vendeme et son petit-ami Snake).
La leçon de ces histoires ? Pour Peter Drucker, le consultant en management qui a disparu au début de ce millénaire, mais avec qui j’ai eu la chance de travailler en 1998, la corporate governance à outrance pouvait être dangereuse : les entreprises passaient déjà trop de temps à essayer de plaire aux actionnaires ou aux stakehoders, au lieu de se préoccuper de leurs clients. Il disait avec sagesse : « Les entreprises sont là pour faire des parfums, des journaux ou des voitures (il aurait pu dire des rasoirs, de la bière, ou des dessins animés). Mais souvent, elles l’oublient ».
Publié le jeudi 21 novembre 2024 . 4 min. 02
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