Quand n’êtes-vous pas d’accord avec vous-même ?
La dissonance cognitive est un concept simple au nom compliqué. En bref, quand une réalité dérange une de nos croyances ou de nos convictions, une « tension » s’installe qui peut nous mettre mal à l’aise psychologiquement. Nous réduisons alors cette tension par un artifice cognitif, afin de rester, au moins dans les apparences vis-à-vis de nous-mêmes, en cohérence. Leon Festinger l’a théorisé en détails dans « A theory of cognitive dissonance » en 1957.
Par exemple, vous fumez et vous savez que c’est mauvais pour la santé. Il y a dissonance. Vous la résolvez en rappelant que votre grand-père fumait comme un pompier et est mort à 102 ans sans aucun cancer lié au tabac. La ficelle est grosse mais ça vous rassure. Vous l’avez d’ailleurs reconnu, c’est ce genre de ficelle qui fait tenir de nombreuses théories du complot : une once de vérité contraire fait tomber à vos yeux une théorie scientifique solide.
La dissonance cognitive est partout, elle est naturelle et nous permet de rester équilibrés car sinon nous pourrions être parfois paralysés ou découragés. Sans aller jusqu’à l’exemple extrême du tabac vu plus haut, nous faisons chaque jour des arbitrages en nous disant par exemple que, bien sûr, ce n’est pas bien pour la pollution d’acheter autant de choses emballées en plastique, mais, n’est-ce pas, ce n’est pas mon action qui va changer le monde ! La question est donc de savoir jusqu’où une tension est tolérable, pour notre équilibre et pour la société.
Il semble qu’aujourd’hui l’acceptabilité sociale de ces dissonances soit contestée, notamment chez les jeunes générations et en particulier autour de valeurs éthiques ou écologiques.
Dans le monde du travail, cela devient très net.
Hier, une entreprise de conseil pouvait affecter n’importe quel consultant sur n’importe quelle mission. Aujourd’hui certains consultants ne veulent plus autant voyager en avion, d’autres préfèrent ne pas travailler pour l’industrie pétrolière ou l’agrochimie. Il faut en tenir compte si on veut les recruter ou les garder. Hier ils acceptaient, et réglaient comme ils pouvaient la dissonance avec leurs convictions : ils les mettaient sous le tapis pour quelque temps. Aujourd’hui, plus conscientisée sur ces enjeux et aidés par la rareté des talents, ils peuvent refuser ou négocier. Leur tolérance envers une trop grande dissonance a diminué.
On peut trouver des exemples similaires en marketing quand celui-ci devient trop manipulateur, en programmation quand des employés s’insurgent contre des algorithmes dont les impacts se situent au-delà des limites de leur éthique, comme pour des robots tueurs, en organisation quand des salariés ou des syndicats, comme dans le cas du projet NEOM de EDF, disent que ce projet antiécologique les choque et le font savoir.
Ce mouvement vers moins de tolérance à une dissonance trop grande peut être aussi vu comme un mouvement vers moins de tolérance tout court, vers moins de flexibilité de la main-d’œuvre, vers plus de complexité de gestion des hommes, vers plus de complexité stratégique. C’est certain mais c’est aussi le signe d’une société qui devient plus honnête avec elle-même, plus éthique.
Publié le vendredi 27 septembre 2024 . 3 min. 09
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de Dominique Turcq
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