Peut-on encore se passer des anglicismes ? Comment devrait-on dire en français « happy hours » en français, « fashionista » ou « fashion week » ? Même si la traduction existe, on a parfois l’impression qu’il en va d’un certain snobisme à utiliser les expressions anglaises pour évoquer un staff meeting, un world summit ou un wine maker, qui pourtant se dit vigneron dans la langue de Rabelais. Quant à Low cost, pour parler comme les économistes, il existe de nombreux équivalents français oubliés.. comme faible coût, coût réduit ou bas prix.
Mais si ce n’est pas du snobisme, alors de quoi s’agit-il ? C’est par souci de simplicité que l’anglais est choisi, comme avec l’expression de burn-out, dont nous avons eu plusieurs fois sur ce plateau l’occasion de dire qu’il constituait le symptôme d’un problème majeur pour le management, plus facile à prononcer que « syndrome d’épuisement professionnel ». Or non seulement le français offre aussi la même simplicité, prenez le mot « carbonisé », mais aussi l’anglais n’est souvent qu’une pâle version d’une langue française sur laquelle il s’appuie lui-même, comme avec le terme « discount », un escompte ou une réduction de prix, qui vient du français desconte qui signifiait « ce qu’on a à prendre et à rabattre sur une somme que l’on paye. »
Toutefois ce n’est pas vraiment une autre version du chic que défendent les académiciens rédacteurs du livre Dire, ne pas dire déjà évoqué ici-même, mais une réponse au noble objectif revendiqué de réfléchir au bon emploi de la langue française. Sacré « challenge » en effet ! Ou plutôt : sacré défi. La langue française qui évolue sans cesse et qui se montre parfois capable d’accepter de nouveaux mots comme celui de « leader », qui paraît aujourd’hui bien ancré (comme à l’inverse l’expression « beau geste » pourra être trouvée dans l’Oxford dictionary).
Mais Dire, ne pas dire se donne aussi pour but de protéger la langue française pour elle-même, dans une lutte pour la domination qui se révèle être favorable à l’anglais. L’anglais, donc, qui peut généralement être remplacé par des « formes françaises de bonne langue », ainsi que le met en évidence les quelques exemples que j’ai sélectionné pour ceux qui parmi vous sont « overbookés », enfin ceux qui ont un agenda bien rempli, ou qui sont tout simplement bien occupés :
- Prenons le mot « backstage ». Les académiciens notent avec humour et nostalgie qu’il évoque l’arrière salle, le lieu du théâtre auquel le public n’a pas accès, qui provient en fait du français « estage », l’étage. En entreprise, le mot backstage caractérise les discussions qui se tiennent en dehors des micros, le non-dit des déclarations officielles en quelque sorte, et on sait bien le rôle que l’informel, voire le secret, tiennent dans les organisations. On devrait donc plutôt dire, non que les arrangements se sont négociés backstage, mais en coulisse.
-A propos de e-learning, les auteurs font une double remarque qui mérite toute votre attention. D’un côté ils signalent que nommer en anglais ce qui a un nom en français n’améliore pas la qualité de ce que l’on nomme. Mais ils précisent surtout que le faire devant un public non-anglophone, qui ne connait donc pas le sens du mot « learning », est une marque de mépris envers lui.
-Les académiciennes et académiciens critiquent aussi un slogan lu par hasard sur une affiche municipale indiquant les « bons plans pour un monde plus green ». Or, précise le dictionnaire, « le monde serait-il moins beau s’il (était) vert plutôt que green ? » car ajoute-il, « il n’y aurait rien de choquant à ce que nos édiles s’adressent à leurs administrés dans la langue de ces derniers » (p. 357). LOL, ou plutôt pâmons-nous de rire.
-Ne parlons pas non plus du « Black Friday », qui rappelle le Krach boursier d’Octobre 1929, pour qualifier une journée de solde durant laquelle la réduction des prix vise à une accélération de la consommation. Ne manquant ni d’humeur ni d’humour là encore, les académiciens de rappeler (p. 71), « la perspicacité de Marx qui disait qu’un événement tragique se répète ensuite de manière grotesque. » Je prononce bien ici « consommation » et non « consumérisme » qui provient du terme anglais consumerism. Or ce mot signifie originellement « défense des consommateurs », alors qu’il tend plutôt à vouloir dire aujourd’hui société de consommation. Bref un mot à éviter car il tend à signifier finalement une chose autant que son contraire.
Ce dictionnaire est donc un must-read sans fake news, qui peut se lire outdoorn sur le roof top, aussi bien qu’indoor. En bref, une lecture indispensable, sans bobards ni contre-vérités, et qui peut se lire en plein air, sur un toit en terrasse par exemple, ou en salle.
Réf.
Commission du dictionnaire de l’Académie Française, Dire, ne pas dire, Editions Philippe Rey, 2020, Paris.
Publié le mercredi 20 janvier 2021 . 4 min. 16
D'APRÈS LE LIVRE :
Dire, ne pas dire
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