Prendre la parole, c’est toujours un peu prendre le pouvoir. On le voit souvent dans des réunions de travail ou sur les plateaux de télévision : celui qui prend le micro est, celui sur qui se porte l’attention de tous et de chacun. Ce pouvoir s’exerce alors dans un triple sens : il souhaite éclairer l’audience, susciter sa sympathie voire lui faire ressentir des émotions exceptionnelles. C’est pour cela que les traités de rhétorique qui existent depuis Aristote se concentrent sur ces trois volets : le « logos », la force de l’argumentation, « l’ethos » qui concerne la manière d’être de celui qui parle. Enfin le « pathos », c’est-à-dire les émotions que va provoquer la parole de celui qui la prend.
Dans son ouvrage Le pouvoir rhétorique, Clément Viktorovitch consacre une partie de ses efforts à donner des conseils pratiques sur comment transformer cette prise de parole sur les plateaux en prise de pouvoir sur les consciences. Il s’appuie sur une littérature aussi vaste qu’érudite pour montrer que depuis Cicéron les règles sont peu ou prou restées les mêmes. Commencer avec maestria, savoir rétorquer aux arguments de l’adversaire, résumer son propos avec des mots simples. Sans oublier l’importance de bien conclure. On se souvient du grand orateur que fut Danton, dans son discours du 2 Septembre 1792 qu’il concluait ainsi : « Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée. »
Sous des dehors qui font penser à un surcroît de spontanéité inimitable, il faut dire qu’en fait ces discours sont le fruit d’un long travail de préparation. Il faut choisir les informations mobilisables et surtout préparer en amont. L’auteur d’égrener plusieurs recommandations à destination de ceux qui prennent le pouvoir rhétorique au sérieux. En voici trois :
- La première est d’apprendre à « façonner son texte ». Il faut en effet savoir cadrer son propos à partir d’une idée directrice, une ligne de force, un élément autour duquel tout doit s’articuler.
- La seconde concerne la bonne manière d’utiliser les faits pour argumenter avec efficacité. Et donc choisir les arguments que l’on va utiliser. Les plus connus sont les arguments d’autorité, de bons sens et de cadrage qui consistent à s’appuyer sur la crédibilité d’une personne, sur des évidences partagées, proches de la sagesse populaire, ou sur des éléments que nous souhaitons mettre en lumière (ou occulter). Or les stratégies argumentatives sont en fait multiples, comme l’argument par la sagesse des grands hommes (« Ghandi a dit que… »), l’argument de fraternité (« nos frères sont en souffrance... ») ou l’argument de la parole donnée, sur laquelle nous ne pouvons décemment revenir. Voilà trois manières d’instruire, d’émouvoir et de convaincre qui portent souvent leurs fruits. D’autres arguments surprennent davantage, comme l’argument par association qui tendra à rendre deux phénomènes dépendant l’un de l’autre tandis que l’argument par la dissociation tentera de mettre en évidence pourquoi deux sujets devraient être traités séparément.
- La troisième recommandation serait de savoir jouer, bien sûr, sur le registre émotionnel pour « créer de la saillance ». J’ai déjà évoqué l’hyperbole dans une vidéo précédente, ici l’auteur ajoute l’exclamation, la répétition d’une expression mobilisatrice, ou la référence à un personnage estimé de tous, qui permettent à chaque fois d’amplifier les effets du discours. Pour mouvoir les foules, il faut d’abord apprendre à les émouvoir. En jouant parfois la carte risquée de « l’exacerbation des affects » ou une autre qui consiste à suspendre le flux de parole, et à faire du silence une arme d’attention massive.
Façonner son texte, argumenter et jouer sur le registre des émotions, en échafaudant des pièges à applaudissements – les fameux claptraps –, ne suffiront pas à empêcher un bon débatteur de vous mettre en difficulté. Vous êtes un financier, et vous tombez sur un frondeur qui présente la finance comme « un dragon vorace », comme si elle était un être autonome, un animal fabuleux, effroyable, doté d’une volonté propre. Cette erreur de raisonnement, car c’en est une, porte atteinte à tout ce que vous avez dit juste avant et plus personne ne s’intéresse à vous. Comment contre-attaquer devant la stratégie adverse ? Comment faire face aux raisonnements frauduleux ? Les réponses possibles constitueront le thème de notre prochaine vidéo.
Publié le mardi 13 septembre 2022 . 4 min. 25
D'APRÈS LE LIVRE :
Le pouvoir rhétorique
|
Les dernières vidéos
de Ghislain Deslandes
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES