Les entreprises se définissent-elles par un objectif de résultat ou par une « raison d’être », une vocation particulière qui justifient leur rôle dans la société ? Autre manière de poser cette question : les entreprises sont-elles supposées se poser la question du pourquoi de leur existence et de leur action, ou non ? Si seul un objectif de résultat d’exploitation est supposé les définir, alors c’est simplement la question du comment y parvenir qui préoccupera naturellement ses dirigeants. Mais si l’entreprise existe en premier lieu pour répondre à une vocation sociale bien spécifique, alors la question du pourquoi, ne serait-ce qu’un instant, précédera toujours celle du comment.
Depuis plusieurs années j’essaie sur cette antenne d’explorer cette deuxième orientation, consistant à dire que le management n’est pas sans pourquoi : les questions stratégiques et logistiques y sont précédées en effet par des interrogations plus fondamentales sur le pourquoi de l’action collective.
Mais, choisir cette option c’est aussi faire face au scepticisme des tenants de la première réponse que l’on pourrait formuler ainsi: pourquoi pourquoi ? Quel intérêt y-a-t-il dans une entreprise de s’interroger sur sa raison d’être si les résultats sont au rendez-vous, si clients et fournisseurs y trouvent leur compte, si les obligations légales, fiscales, voire même environnementales, sont respectées par l’entreprise en question ?
Pourquoi pourquoi, comment et pourquoi se demander pourquoi, c’est l’interrogation qui donne tout son sens à l’ouvrage d’un philosophe des sciences directeur de recherches au CNRS, Philippe Huneman, publié aux Editions Autrement. L’auteur nous emmène dans une exploration qui conditionne finalement aussi bien nos actions, nos convictions que nos connaissances, notamment scientifiques. Il nous montre les confusions dont le mot est souvent l’objet, lequel concerne aussi bien le territoire et la recherche des causes (pour quelles raisons objectives telle entreprise est plus performante qu’une autre, qui lui ressemble ?) que celui des motivations : pourquoi Philippe et Alexandre ont-ils quitté leur emploi de cadres, l’un se lançant dans la confection de confitures artisanales, et l’autre dans l’acquisition d’un food-truck ? En bref il y toujours plusieurs types de pourquoi.
Causes, préférences, utilités et raisons sont quelques-uns des mots polysémiques de la « grammaire du pourquoi » (p. 111) que cet ouvrage explore. Car on confond souvent les raisons de croire, par exemple une théorie, ou les raisons d’agir, en se donnant un but, alors qu’elles méritent d’être distinguées. C’est même indique l’auteur cette nécessaire distinction qui ferait de nous des adultes.
De mêmes les causes. S’appuyant sur Aristote, Huneman (p. 70) en différencie quatre : la cause matérielle, la cause formelle, la cause efficiente et la cause finale. Pourquoi une entreprise choisit-elle tel ou tel logo pour se faire connaître : il y a là une « cause matérielle » – les moyens graphiques qui ont été mis en œuvre pour réaliser l’image –, une « cause formelle » – le gazouillement de l’oiseau pour Twitter par exemple –, une « cause efficiente », c’est-à-dire le processus collaboratif grâce auquel le logo a pris sa forme définitive. Et enfin une « cause finale », qui correspond à l’objectif même de cette représentation visuelle, à savoir la glorification de la marque auprès de ses utilisateurs potentiels.
En décrivant avec précision le « besoin de clôture cognitive » des théories complotistes, ainsi que les « biais intentionnels » qui nous concernent tous, cet ouvrage met en évidence au final comment la question du pourquoi de nos actions est d’abord connectée à celle de nos préférences et de nos désirs. Une anecdote à la page 159 l’illustre bien, où l’on cite « la boutade de Marcel Pagnol selon qui les platanes ont été créés pour faire de l’ombre aux joueurs de pétanque, ou bien la vision apparemment sérieuse de Bernardin de Saint-Pierre selon qui les melons ont été prédécoupés en tranches par Dieu pour pouvoir être mangés en famille ».
Publié le jeudi 03 décembre 2020 . 3 min. 42
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