Le nouveau n’est-ce pas, est toujours préférable à l’ancien. Et le vieux, c’est entendu, est toujours moins bon que le neuf. Voilà en tout cas ce dont tente de nous persuader, depuis toujours, le modèle industrialiste qui est le nôtre. Mais s’est-on jamais posé la question : qu’est-ce qui est vraiment nouveau dans les objets qui nous sont présentés comme le fruit de la plus récente innovation ?
Le philosophe Michel Serres notait qu’il n’est guère évident de le savoir : une nouvelle voiture par exemple utilise des découvertes techniques qui remontent à plusieurs dizaines d’années quand l’invention de la roue, faisait-il remarquer, nous ramène en fait au néolithique. Ce qui est nouveau est le plus souvent infime : une nouvelle couleur, un nouveau logo du constructeur, parfois même seulement un nouveau nom figurant sur une nouvelle page de pub. Dans sa Préface au traité du vide, Blaise Pascal remarquait déjà ce paradoxe : contrairement à l’idée convenue, il se pourrait bien que seuls « ceux que nous appelons anciens (soient) véritablement nouveaux en toutes choses ».
Cela doit peut-être nous amener à réviser le sens que nous donnons au mot innovation. Innover, croit-on généralement, est le fait de procéder à des découvertes, notamment techniques. Alors qu’en fait, innover revient pour l’essentiel à actualiser nos connaissances, à les mettre à jour, dans des domaines aussi divers que le marketing, le management, le design ou la communication. Le sens du mot oscille donc entre d’un côté la création d’un procédé radicalement inédit, et de l’autre une manière adroite de renouveler ce qui existait déjà, de façon plus ou moins masquée, dans nos manières d’être et de produire.
Mais dans tous les cas nous savons que nous avons affaire à un discours quasi-religieux qui imprègne aujourd’hui tous les domaines de la vie sociale, la politique, la science et l’économie : la popularité à celles et ceux qui innovent, la décadence plus ou moins attendue, mais sûre à long terme, pour celles et ceux qui s’en montrent incapables. En cas de succès, une seule raison : l’innovation des équipes. En cas d’échec un motif unique : les équipes n’ont pas su innover assez tôt.
Devant une telle injonction, il paraît urgent de recourir à une analyse critique, et donc vraiment philosophique. C’est ce à quoi s’emploie le spécialiste de Machiavel Thierry Ménissier, Professeur de philosophie à l’Université de Grenoble, qui fait partie des quelques philosophes qui se sont saisis depuis quelques années des questions de management. Et l’innovation est en une, et des plus importantes et structurantes pour la discipline des sciences de gestion, comme elle est aussi une question de philosophie, comme à chaque fois du reste que le sens des mots mérite une explication de texte.
Or c’est ce que l’auteur nous propose dans son enquête philosophique intitulée Innovations, écrit au pluriel, dans laquelle en spécialiste des questions d’éthique publique il nous donne un aperçu des distinctions qu’il convient de faire entre innovation et progrès, entre innovation et imagination ou entre innovation au sens capitaliste et innovation tout court. Une innovation plus fondamentale que Ménissier semble appeler de ses vœux face (p. 20) au « régime de transitions (énergétique, (…), démographique, (…) et démocratique) » dans lequel nos sociétés sont entrées, et dont il donne aussi quelques exemples tels « l’économie circulaire, la résilience des sociétés ou le biomimétisme ».
Et c’est là que, contrairement aux théories schumpétériennes situées « par-delà le bien et le mal » (p. 190), l’auteur suggère de rapporter les modèles d’innovation à autre chose que le « haut rendement garanti » (p. 228), et notamment à l’éco-responsabilité, mais pas seulement. En bref une innovation comme potentiel de transformation de notre monde, qui accepte de rompre avec le connu, de changer les routines. Non pour créer de nouvelles pauvretés, mais afin d’être un « processus d’institution imaginaire de nos sociétés » (p. 180) ouvrant de nouvelles perspectives sur nos arts de vivre, d’agir, de consommer et de penser.
Publié le lundi 7 février 2022 . 3 min. 56
D'APRÈS LE LIVRE :
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