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A quoi peut bien servir la philosophie ? Les gestionnaires sont en droit se poser la question. Pierre Bourdieu avait proposé cette réponse : la philosophie contribue à s’occuper sérieusement des questions qu’ignorent les gens sérieux. La formule « gens sérieux » est sans nul doute un peu taquine mais il faut la prendre au sérieux : car comme pour son grand inspirateur Blaise Pascal, l’utilité sociale de la philosophie ne se trouve pas dans les traités de métaphysique, mais dans son discours de vérité adressé aux puissants. La puissance de la philosophie consiste à raffiner l’oreille des décideurs, tout le reste n’est que divertissement et plaisir de la pensée, qui ont leur mérite bien sûr, mais qui sont sans importance. Avec Pascal la philosophie est toujours convoquée là où on l’attend généralement le moins : l’exercice du pouvoir et du leadership.


Si cette conception peut surprendre les décideurs eux-mêmes, qui ont retenu de leurs cours de terminale que la philosophie consiste à bien conduire sa raison ou à créer des concepts, elle ne devrait pas surprendre à ce point les philosophes. Aristote fut le précepteur d’Alexandre et Socrate était connu pour participer à des banquets entourés des jeunes gens les plus brillants de son temps, comme Euthydème ou Alcibiade, où il se chargeait de leur révéler leur ignorance en exposant la sienne. C’était là tout l’éros socratique : provoquer un désir d’apprentissage et un goût pour le bien chez des jeunes gens doués mais présomptueux et suffisants, au bénéfice de la philia, c’est-à-dire le sentiment fondateur du lien social. Au Vème siècle avant notre ère, et jusqu’à son procès, passer une journée en la compagnie du pédagogue Socrate, malgré sa laideur physique dont toute la tradition témoigne, était un must.


Or dans son essai, « 24h de la vie de Socrate », c’est justement ce que nous propose Sandrine Alexandre ; elle s’étend notamment sur la manière que le « vraiment pas beau » Socrate avait de s’adresser aux élites athéniennes, d’accoucher des esprits et tout compte fait de tendre un miroir aux puissants. Une méthode que l’on pourrait résumer en trois volets :


-premier volet, la posture du pédagogue. Chez Socrate elle prend la figure de l’atopie, du décalage permanent, de l’étrangeté, du caractère inadapté. Socrate n’arrive jamais à l’heure, ne paraît porter aucune attention à sa toilette, se « revendique de modèles féminins » (p. 14), il déroute. C’est le cœur de la politique du taon qui est ici exposée, taon qu’il est lui-même, et qui vise à rendre ses interlocuteurs « capables de distinguer ce qui est véritablement bon de ce qui paraît seulement l'être, ce qui est bon de ce qui n'est qu'agréable, pour eux aussi bien que pour la Cité » (p. 86).


-second volet, l’ironie permanente. Socrate n’est pas un sachant, il n’est le détenteur d’aucune autorité, il ne défend pas de thèse particulière. Comme l’indique Kierkegaard, Socrate est le pur négatif, il est l’incarnation du pouvoir du négatif. Il ne gouterait guère le privilège insensé accordé aujourd’hui à la psychologie positive et nous inviterait plutôt à quelque scepticisme à l’égard des séminaires d’entreprises qui lui sont exclusivement consacrés. En bref Socrate n’a rien à proposer, sauf peut-être dans les « choses de l’amour » (p. 10), car ce dont se soucie Socrate c’est du souci que les autres ont d’eux-mêmes. « L'érotique devient (alors) éthique » explique justement Sandrine Alexandre, car « aimer, c'est se soucier d'améliorer l'âme de celui que l'on aime » (p. 43).


-troisième volet : un goût prononcé pour la réfutation : démontrer comment et pourquoi ce que notre interlocuteur raconte est contestable. Pour cela Socrate commence toujours par écouter, puis revient sur les premières hypothèses avancées par son interlocuteur pour en dénoncer le caractère fallacieux. Jusqu’à ce que le discutant mis en difficulté par cette honnête discussion finisse par lui donner raison. C’est ce qui faisait dire à John Stuart Mill dans son texte de 1861consacré au principe d’utilité, si prégnant dans les organisations contemporaines, qu’il « vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait ; il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et si l’imbécile ou le porc sont d’un avis différent, c’est qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question : le leur. L’autre partie, pour faire la comparaison, connaît les deux côtés ».


Cette pratique avait toutefois un défaut : faire perdre la face à ses interlocuteurs et surprendre, même ses amis, quand il lance ironiquement à Criton au moment de boire la cigüe : « Nous devons un coq à Esculape. Payez cette dette ne soyez pas négligeant ». Et vingt-cinq siècles plus tard elle nous interroge : serions-nous aujourd’hui assez ardents, assez patients, et assez indulgents, pour passer une journée entière avec le « va-nu-pieds » toujours en retard le plus célèbre de l’Antiquité ?


Publié le jeudi 14 décembre 2023 . 4 min. 18

D'APRÈS LE LIVRE :

24 heures de la vie de Socrate

24 heures de la vie de Socrate

Auteur : Sandrine Alexandre
Date de parution : 11/01/2023
Éditeur : PUF
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