Les meilleurs n’auront pas le pouvoir
Publié le jeudi 25 novembre 2021 . 4 min. 12
Le meilleur dit-on est l’ennemi du bien. Le meilleur des mondes, c’est aussi le nom qui a été attribué en langue française au roman d’anticipation dystopique d’Aldous Huxley. Paru dans les années 30, ce roman mettait en scène une société réparties en cinq castes parmi lesquelles les Alpha, sensés diriger la cité, sont à la fois les plus beaux et les plus intelligents, bref les meilleurs. Les Alpha, ce sont les dirigeants dits de qualité supérieure, ceux de la « A list » comme on a pas peur de dire aujourd’hui, qui mettent en place les conditions d’une société « zéro défaut ».
Pour Adrien Louis au contraire, auteur aux PUF d’un essai titré « Les meilleurs n’auront pas le pouvoir », il serait grand temps de redonner enfin aux « meilleurs » la place qui leur revient. Le meilleur, celui qui sait gouverner pour le bien de la communauté, qui vise entre les citoyens le renforcement de l’amitié civique, c’est aussi le nom de celui, ou celle, qui est supposé(e) sortir des urnes : le pouvoir du peuple par le peuple, la démocratie, étant en définitive aristocratique dans la mesure où elle fonctionne, pour le meilleur ou pour le pire, sur un principe électif qui distinguent les plus capables d’exercer ce pouvoir représentatif. Or pour Adrien Louis, c’est trop souvent que la démocratie ressemble en fait à une médiocratie. Pour cheminer sur la pente menaçante de cette question, il nous suggère de nous arrêter sur l’œuvre de trois auteurs:
- Aristote d’abord. Selon lui, comme pour la majorité des Grecs anciens, il faut noter que c’est l’éducation des dirigeants de la cité qui est le point clé de toute cette affaire. Le dirigeant est celui qui définit le télos, le but et la raison d’être de la cité, mais aussi celui qui sait se maîtriser lui-même avant de savoir gouverner les autres. L’éducation étant supposée offrir aux meilleurs un art de l’excellence et une intelligence des situations.
-toutefois, chez Pascal, on trouve cette idée que le mérite n’est peut-être pas la meilleure manière justement de distinguer les « Grands », c’est-à-dire ceux qui sont en mesure d’exercer le pouvoir que les autres n’ont pas, car le mérite est toujours contesté par ceux qui s’estiment les plus méritants. Pour Pascal, il est bon et même excellent que les grandeurs humaines existent, et que chacun d’entre nous les cultive s’il le peut, mais elles n’ont pas forcément vocation à régner. Ce qui règne toujours se sont les grandeurs d’établissement, car comme dit Pascal en bon physicien, « il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi ».
-enfin Tocqueville nous met en garde, comme l’indique l’auteur p. 181, que « si les caractères aristocratiques veulent donc se réconcilier avec les instincts démocratiques, ils doivent renoncer à mépriser ce qui est commun et médiocre. » « Les yeux démocratiques se fatiguent » explique-il encore quelques pages plus haut (p. 173), « à la vue d’une supériorité même légitime, et en temps ordinaire, le peuple est plus souvent contrarié que séduit par le spectacle de la grandeur authentique. Par conséquent (…) les grands hommes eux-mêmes sont découragés de convoiter les suffrages du peuple, et le système électif a certainement pour premier effet d’éloigner les vrais talents de la conduite des affaires ».
C’est donc sur un fond de pessimisme que cette lecture à trois temps se déploie : pour l’auteur en effet, Professeur de Philosophie au Lycée, c’est au fond comme l’idée même de grandeur qui aurait comme disparue du discours politique aujourd’hui. Tout se passant comme si nous ne supportions plus l’extraordinaire, dès lors qu’il n’est plus à notre image.
Face à cet abattement, au moment du démarrage d’une campagne présidentielle particulièrement importante, il faudrait rétorquer, dans une veine moins anxieuse, qu’en démocratie, le meilleur est une valeur qui, toujours, fluctue. Comme l’indiquait le philosophe Vladimir Jankélévitch, le meilleur n’est souvent « que le moins mauvais ». Et puis si parfois en effet « un tout petit homme peut projeter une ombre immense » comme indique Lord Varys, le maître de l’espionnage et de la cabale dans la série Game of Thrones, nous savons aussi que les Princes stupides et brutaux sont eux-mêmes manipulés par des sherpas moins stupides et moins brutaux qu’eux. Rappelons que Lord Varys est de ceux-là, manipulateur en diable peut-être, mais ne perdant jamais de vue ses seules obsessions véritables : la paix du royaume et la sauvegarde du bien commun.
D'APRÈS LE LIVRE :
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Les meilleurs n'auront pas le pouvoir, Une enquête à partir d'aristote, pascal et tocqueville
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