"La véritable école du commandement est celle de la culture générale", expliquait en son temps Charles de Gaulle. "Au fond des victoires d’Alexandre, ajoutait-il, on retrouve toujours Aristote". Cette remarque du Fil de l’Epée, bien connue et datée de 1932, retrouve-t-elle une actualité depuis la victoire d’Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle ?
En effet, en recrutant le jeune Macron, étudiant à l’IEP, pour l’accompagner dans la relecture de l’un de ses derniers opus, La mémoire, l’histoire, l’oubli, le philosophe Paul Ricoeur participait alors, sans le savoir, à la formation intellectuelle de celui qui allait devenir quinze ans plus tard le plus jeune président de la République française.
Du Ricoeur chez Macron ?
Or la relation entre les deux hommes est au cœur de deux enquêtes récemment parues, l’une proposée par Pierre-Olivier Monteil, Macron Président, et l’autre par le biographe de Ricoeur, François Dosse, qui intitule son livre Le philosophe et le Président. Invités fin 2017 sur le campus de ESCP Europe pour en débattre, la discussion a naturellement démarré sur le choix de couverture de ces deux livres : l’une mettant en avant la proximité des deux hommes, une photo retrouvée par François Dosse à l’occasion des 90 ans de Ricoeur, et l’autre évoquant d’emblée la posture politique d’autorité de Macron, plutôt que sa posture philosophique.
Pour François Dosse, il ne fait aucun doute que le président Macron a été marqué philosophiquement et politiquement par ses heures passées auprès du philosophe. A partir de certains thèmes clés comme le temps politique ou l’identité, on aperçoit selon lui la marque de cette influence. Ascendance que l’on discernerait aussi bien dans l’utilisation de mots comme ipséité durant sa campagne, notion d’ordinaire rarement employée sur les plateaux de télévision, que dans ses déclarations publiques, notamment celle portant sur sa relation à la philosophie parue dans une édition du journal Le 1, datée du 8 Juillet 2015.
Pour Pierre-Olivier Monteil, c’est avec plus de nuance qu’il faut considérer cette relation. Certes, certains des thèmes dont les lecteurs sont coutumiers apparaissent nettement dans la posture macronienne : les valeurs de verticalité, la distinction entre le neuf et le nouveau, le refus de la pensée binaire ou encore le tragique de la décision. Mais Monteil fait aussi valoir que d’autres sujets, comme celui de l’utopie, sont absents du discours macronien et qu’aussi beaucoup de question restent ouvertes sur la manière avec laquelle le nouveau président envisage l’exercice proprement dit du pouvoir.
Cela fait-il de Macron un philosophe ?
Il est intéressant de noter que de nombreux philosophes, dans et hors du champ d’études ricoeuriennes, se sont élevés pour dénoncer une instrumentalisation de la philosophie au bénéfice unique du candidat Macron. Un DEA à Nanterre et quelques heures de relecture d’un manuscrit, fussent-elles consacrées à un livre réputé difficile, font-elles en effet d’un homme politique un philosophe, et d’un bac+5 en philosophie un philosophe-roi ? Il est permis d’en douter.
Aussi, parmi le comité scientifique du Fonds Ricoeur, plusieurs voix dont celle de Myriam Revault d’Allonnes ont dénoncé la possibilité de transposer trop facilement la pensée philosophique de Ricoeur en politique. Car s’il n’y a pas de ricoeurisme avec Ricoeur, par quel miracle y en aurait-il avec Macron, se demande-t-elle.
"Emmanuel Macron, vous n'avez pas le monopole de Ricœur", s’écrie même dans un article de L’Obs le journaliste Eric Aeschimann, en guise de conclusion de cette querelle picrocholine typiquement parisienne.
Le parcours intellectuel de Macron, une spécificité culturelle française
Tandis que les uns veulent "ricoeuriser" Macron, d’autres se refusent à "macroniser" Ricoeur. Pour ma part je conclurai sur une interrogation et un mérite à concéder à cette polémique. La question est la suivante : la culture générale et philosophique a-t-elle encore un rôle à jouer dans la structuration de la pensée et la conduite de l’action politique?
Au fond, tenter de savoir si Macron est bon philosophe ou Ricoeur bon politique n’a que peu d’intérêt. Lorsqu’il eut 90 ans, Ricoeur déclarait d’ailleurs avoir encore "beaucoup d’énergie, peu de force et pas de pouvoir", pour signifier que philosophie et politique font bel et bien deux. En revanche, le parcours intellectuel d’Emmanuel Macron est une spécificité culturelle française dont il sera intéressant de faire le bilan dans quelques années, au regard notamment de ce qu’indiquait dans ses Mémoires, et que je citais en prélude, le fondateur de la Vème République.
Enfin, le mérite de cette controverse peut s’énoncer clairement : elle consiste à nous convaincre de lire et relire Ricoeur, ce grand défenseur de la nécessaire interprétation des textes, du décryptage rigoureux de l’actualité, et donc du refus du prêt à penser qu’elle qu’en soit la source.
Publié le mercredi 28 février 2018 . 4 min. 30
D'APRÈS LE LIVRE :
Macron par Ricoeur : Le politique et le philosophe
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