Peut-on former à la prise de décision en entreprise ailleurs que dans une salle de cours ? La formation au management et au leadership s’est de fait toujours efforcée de concevoir des approches pédagogiques originales, avec des séminaires plus ou moins ludiques en prenant appui sur des expériences artisanales, théâtrale, privilégiant parfois des situations extrêmes ou en encore des dispositifs centrés sur un animal, par exemples les chevaux. Grenoble école de management s’est faite pionnière dans ce domaine en mettant en place des formations et des programmes de recherche fondés sur l’éthologie équine et la relation homme/cheval. Le but : travailler sur la capacité à écouter, inspirer le respect, canaliser les énergies et piloter avec subtilité. Il faut se souvenir ici que le latin manus est à l’origine du mot management, ou plus préciser à l’art d’entraîner les chevaux dans un manège. On parle aujourd’hui volontiers de pilotage des organisations, et on renoue en cela avec l’origine étymologique de ce mot.
Mais alors l’entraînement de chevaux de courses pourrait-il sérieusement constituer, et comment, un cas d’école judicieux pour qui veut apprendre à diriger ? Une écurie de pur-sang, animaux parfois inserviables quoique souvent généreux, peut en effet représenter un exemple probant de management sous haute-tension, tournée vers la performance et la victoire, mais dépendant d’un nombre de paramètres nombreux et complexes : la rivalité entre les jockeys, la susceptibilité des propriétaires, les performances en dents de scie des pouliches et des poulains, les enjeux économiques importants de la filière bref, tout porte à croire que gérer une écurie de champions n’est pas une sinécure.
Or, dans ce domaine particulier où il y a beaucoup à apprendre, un professionnel, dont une biographie récente révèle les secrets et la méthode, apparaît comme un exemple emblématique, celui de François Mathet. Sur cet entraîneur dont le peuple des courses ne cessait de scander le nom sur l’hippodrome de Longchamp, le banquier Guy de Rothschild, formel, expliquait ceci : « c'est incontestablement le numéro un mondial. Il n'y a rien de comparable dans le monde des affaires à la domination qui est celle de Mathet dans le monde des courses. »
Mais si chacun louait « ses qualités de sang-froid, d'intelligence de la course et de complicité avec l'animal » (p. 37), l’entraineur de Coco Chanel, d’Alain Delon et du Prince Aga Khan décédé à l’âge de soixante-quatorze ans, avait une autre caractéristique, outre son anticonformisme notoire qui en agaçait plus d’un, qui était d’être le plus inaccessible des professionnels exerçant ce métier. Même les jours de derbys victorieux. Au point que nul n’a jamais pu établir quel était le contenu de sa méthode, mais que nous pouvons grâce Theresa Révay établir en plusieurs points :
- Le premier est la qualité de l’information et du fonds d’archives sur les chevaux qu’il a constitué au fil de sa carrière, et sur lesquels il fondait toutes ses stratégies. Chaque galop, chaque observation sur le comportement du cheval, chaque article paru était conservé, ordonné, complété de sorte à ne jamais reproduire deux fois la même erreur et à se faire une idée précise des progrès éventuels de ses protégés. Bref une connaissance encyclopédique, sans cesse mise à jour, et pas de décision stratégique prise sans une information de première main.
- Le second est liée à l’organisation mise en place par le maître-entraîneur. Dans son esprit, « le monde hippique est une association de composants où le rôle de chacun détermine celui de l'autre (p. 271). » Autrement dit la hiérarchie n’est que de façade au sens où, telle une adhocratie que l’on rencontre sur un tournage de cinéma, chacune et chacun sait ce qu’il doit faire sans qu’on le lui dise, entre « pansages, rations, entraînement et soins ».
- Le troisième nous fait revenir sur la relation entre l’homme et l’animal, pivot sur lequel s’appuient les programmes de formation au management évoqués à l’instant. Chez Mathet, tout est question d’écoute pour permettre l’épanouissement du cheval. « Jamais mon meilleur ami ne ferait pour moi » disait-il, « ce qu'est prêt à faire tous les jours le plus modeste pensionnaire de mon écurie » (p. 320).
En bref ne pas lui demander d’efforts inutiles, car « le cheval ne sait pas fixer de limite. Il importe de le ménager » déclarait-il encore (p. 147). Ménager, ce mot qui rappelle curieusement l’ancêtre du management, le mesnagement en ancien français, signifie prendre des pincettes avec l’animal, le traiter avec certains égards, en bref ménager sa susceptibilité et l’approcher avec tact. Guy de Rothschild en témoigne d’ailleurs p. 149 : « Il avait une approche très patiente des chevaux envers lesquels il ne recourait jamais à la brutalité. Tous bénéficiaient de ses soins, quels qu'ils soient. Il était aussi attentionné avec le crack qu'avec la pire carne tout juste capable de gagner une petite course en province. » Ce que confirme, dans un mot adressé à la famille André Fabre, qui domine à son tour aujourd’hui la scène du sport des rois en France, quand il écrit que l’écurie de François Mathet était d’abord l’endroit où « les chevaux étaient les plus heureux. »
Au fil de ce récit, on comprend une fois encore qu’en matière de management la philosophie compte au moins autant que la méthode. Mathet en convenait volontiers, lui qui considérait les courses comme une leçon de philosophie, « où la distance est courte entre la roche Tarpéienne et le Capitole » disait-il. « Qui croit étreindre la réussite se retrouve le lendemain au fond du puits » (p. 275).
Publié le mercredi 23 mars 2022 . 5 min. 15
D'APRÈS LE LIVRE :
La course parfaite, François Mathet portrait du maître-entraîneur
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