Par les temps qui courent, la position de directeur ou directrice est loin d’être toujours enviable : « Interrogez (ses) équipes, et elles réclameront d’être guidées. (S’il décide) à leur place, et elles s’en offusqueront. (S’il consulte), on se plaindra du surcroît de travail ; (s’il ne consulte pas), on (lui) reprochera de gouverner seul » (p. 39).
Ainsi s’exprime Clément Bosqué, directeur au sein d’un IRTS dans son « Petit traité sur la fonction de direction dans le secteur social » paru chez Champ social éditions. On aurait tort toutefois de croire l’auteur désabusé par rapport à la fonction qu’il décrit, et qu’il occupe, car il ne fait aucun doute que les plaintes que les chefs reçoivent en continu sont précisément le signe qu’ils sont plus que jamais nécessaires au fonctionnement des organisations. Notamment parmi celles appartenant au secteur social.
Les directeurs selon Bosqué se distinguent d’abord par l’expérience qu’ils ont acquise sur le terrain. L’auteur de citer ici Platon qui dans sa République (488b) pointait déjà ces matelots qui « se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que c’est à lui de le tenir, quoiqu’il n’en connaisse point l’art et pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent même pas qu’il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les astres, les vents, s’il veut réellement devenir capable de diriger un vaisseau ».
Aussi se distinguent-il, et c’est peut-être plus original, par leur capacité à « renoncer ». Cette fois c’est Goethe qui vient en appui de cette révélation (cité p. 73) : « Qui aspire à bien conduire les autres » écrit le poète allemand dans son Faust, « doit être capable de beaucoup renoncer ». Les directeurs devraient donc abandonner l’idée d’être propriétaire de leur fonction, se résigner parfois à prendre des sanctions, et enfin à ne pas prendre au pied de la lettre les déclarations d’amitié que des collègues formulent à leur endroit pour des raisons tactiques. Bref ils doivent renoncer « à l’omniprésence, à l’omnipotence, (et) à l’omniscience ». Diriger c’est d’abord écouter, ce qu’ils oublient trop souvent, et ce dont l’auteur, lequel a dirigé plusieurs établissements de protection de l’enfance, se souvient.
Mais on ferait fausse route de croire que l’écoute ne comporte pas au moins autant d’aspects tactiques et stratégiques : si elle permet en premier lieu de « sentir » une équipe, sans quoi tout management paraît impossible, elle nécessite néanmoins un peu de vigilance : à l’égard des « rumeurs d’impopularité », par exemple, rapportées de manière intéressée. Or, comme Bosqué le rappelle « il n’est pas bon de diriger par l’audimat. Le directeur n’est pas là pour être populaire. Il peut même être inquiétant qu’il le soit trop. ». Egalement il ne se laissera pas trop impressionner par ses opposants, mais saura leur laissera une place. L’auteur de rappeler que « le Pape Innocent III avait su recevoir François d’Assises pour écouter ses remontrances. » Alors que « plus tard l’autorité pontificale ne prit pas Luther au sérieux » (p. 33-34). Il se demandera toujours ce que sont les intérêts sous-jacents de ses interlocuteurs. Enfin il ou elle essayera de ne pas trop se laisser impressionner par ceux qui lui demandent de ne s’attacher qu’aux détails. C’est une tactique de diversion qui ne doit pas trop faire dévier le directeur, ou la directrice, de sa feuille de route.
Au fond, cet essai truffé de propos d’écrivains et de philosophes essaie de dégager une sorte de sagesse pratique, d’un savoir-être avec autrui, plutôt qu’un ensemble de techniques, une sagesse pratique où il s’agirait de savoir pacifier les relations, de s’engager et de savoir dire les choses. Car enfin explique-t-il le directeur, la directrice, « peint le mouvement présent » d’une organisation. A ses risques et périls. En mettant en jeu sa chemise et son crédit.
C’est d’ailleurs ce que la reine Catherine II de Russie, directrice elle aussi en un sens, écrivait au philosophe Diderot : « Vous travaillez sur du papier, moi sur de la peau humaine » (p. 15).
Publié le lundi 16 mai 2022 . 3 min. 49
D'APRÈS LE LIVRE :
Petit traité sur la fonction de direction dans le secteur social
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