A quoi bon réfléchir encore si les machines le font bien plus efficacement à notre place ? Avec l’arrivée de l’intelligence artificielle forte en effet, celle des algorithmes conversationnels, nous entrons dans une période dans laquelle les machines penseront à notre place, et de plus en plus puissamment. Par conséquent, il deviendra moins utile pensons-nous, de réfléchir, dans la mesure où cette occupation sera comme externalisée au cœur de nos machines. Ce scénario menaçant, le paléoanthropologue Pascal Picq, grand spécialiste des gorilles et autres primates, en fait une lecture très audacieuse dans son dernier ouvrage Qui va prendre le pouvoir – Les grands singes, les hommes politiques ou les robots ?
Selon lui, dans ce nouvel espace digital darwinien dans lequel nous sommes entrés, l’homme ne gardera le pouvoir que s’il parvient à produire deux efforts simultanés.
Le premier de ces efforts, c’est de tenter de mieux comprendre les intelligences naturelles qui l’ont précédé, notamment celles des grands singes dont il brosse un portrait fascinant dans les premiers chapitres. Picq de se lancer par exemple dans des parallèles entre les stratégies d’alliance des vervets ou des babouins des savanes, pour acquérir le pouvoir dans une lutte contre les mâles dominants, et les difficultés concrètes rencontrées par plusieurs de nos hommes politiques, en particulier français.
Le second effort, pour ne pas devenir les esclaves des robots, ni les robots nos nouveaux maîtres, nécessiterait que l’espèce humaine ne cède aucun terrain sur le plan de son dynamisme musculaire ou neuronal. Autrement dit ces nouvelles formes d’intelligences doivent justement nous encourager à toujours utiliser celle dont nous savons être capables. Elles doivent même nous encourager à repousser nos propres limites.
Ce raisonnement rencontre un écho dans la littérature de fiction. Pour Pick en effet cette situation ressemble à s’y méprendre à celle que décrit l’auteur de la Planète des Singes Pierre Boulle en 1963 au travers du témoignage de cette femme emprisonnée dans les geôles des Chimpanzés qui ont pris le pouvoir et qui explique justement que cette situation a été rendue possible du fait de l’inactivité des humains, de leur refus du moindre effort, de leur apathie, les faisant glisser petit à petit dans un état d’esclavage volontaire. Cette rétrogradation est celle qui nous attend si nous ne tenons pas compte de la leçon de Darwin, prévient le maître de conférences au Collège de France que je cite ici: « comprendre ce qui a fait notre succès ne suffi(ra) pas pour s’adapter au monde que nous avons contribué à changer ».
Au passage Pascal Pick fait deux victimes cinglantes : la première c’est le revenu universel, dont il remarque que l’idée est si neuve qu’elle se trouve déjà dans l’Utopie de Thomas More parue au XVIème siècle. La seconde c’est le taylorisme, cette organisation du travail sur un modèle « linéaire, sériel et cumulatif » dont il fait indirectement la critique inexorable. Car s’adapter au monde que nous avons contribué à changer nous obligera à apprendre à désapprendre, à passer par des périodes d’activités et d’inactivités pour prendre du recul avec ce qui s’est passé, pour retrouver créativité et sens de la responsabilité.
Redécouvrons donc notre capacité à dire non aux machines, sans quoi ce sont elles qui, à coup sûr, et à notre détriment, prendront bientôt le pouvoir.
Publié le mardi 11 juillet 2017 . 3 min. 18
D'APRÈS LE LIVRE :
Qui va prendre le pouvoir ? Les Grands singes, les hommes politiques ou les robots
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