Pour qui observe la vie des organisations, il y a un syndrome qui est finalement peu documenté dans la littérature en management et qui pourtant est non seulement fréquent mais aussi destructeur de valeur. On pourrait le nommer : « syndrome de la cour ».
La cour, fondée sur la concurrence et l’exclusion
Une des missions clés du manager est la prise de décision. En effet, les arbitrages occupent une bonne partie de son temps et fondent une des spécificités de cette fonction. Or, on sait depuis les travaux séminaux de Herbert Simon et sa théorie de la rationalité limitée, que les managers, grands ou petits, décident avec un accès réduit à l’information, souvent aussi dans des délais ne permettant pas de murir la réflexion ni de dérouler les hypothèses stratégiques, et qu’ils ont aussi recours à des interlocuteurs plus ou moins experts et plus ou moins objectifs quant au choix à faire.
C’est là qu’intervient le syndrome de la cour. Si on veut le décrire, c’est du côté de la recherche historique qu’il est bon d’aller puiser pour décrypter et comprendre ce phénomène.
Ainsi les historiens soulignent la dimension politique de la cour, qu’ils décrivent comme un système fondé sur les principes de concurrence et d'exclusion. La cour est organisée autour de factions polarisées sur des chefs s'affrontant pour obtenir le monopole de l'accès aux ressources. Les membres de la cour sont récompensés de leur fidélité par l'octroi souvent ostentatoire d'honneurs symboliques ou matériels.
•La figure du « favori » est emblématique de ce dispositif : ce personnage, de par sa position privilégiée auprès du « prince » incarne en effet le rapport de dépendance et, dans le même mouvement, légitime le pouvoir souverain.
•La « faveur du roi » apparaît alors comme une situation de pouvoir informel, ne reposant ni sur le statut social ni sur les charges officielles, mais sur une relation volontaire et affective avec des personnes choisies.
Ne pas s’enfermer dans sa tour d’ivoire
Quelle transposition à l’entreprise ?La cour idole le dirigeant en lui évitant les « mauvaises nouvelles », ou bien en lui façonnant une réalité construite sur des stratégies personnelles, lui faisant perdre tout contact avec la réalité.
Les courtisans vont fonder leurs comportements et leurs relations aux dirigeants de façon bilatérale, et voir les autres collaborateurs (le conseil de direction) comme des ennemis potentiels. On perd alors toute notion d’équipe et de contribution à un projet global.
Enfin, le courtisan va s’appliquer à flatter le dirigeant en le confortant dans ces choix stratégiques : de façon plus ou moins explicite, il va aller dans son sens, privant l’organisation de tout débat, de toute controverse créatrice.
Le dirigeant se retrouve alors isolé et coupé de son entreprise. Il est évident qu’il peut réagir et mettre en place des antidotes. J’en retiendrai 4 :
•Le premier est d’aller régulièrement prendre le pouls de l’entreprise, en allant sur les lieux, en rencontrant des personnes directement. Il faut alors déminer le phénomène classique de théâtralisation, en jouant les changements de programme à la dernière minute par exemple.
•Une deuxième piste est de chercher d’autres sources d’informations que les canaux officiels : pour cela les réseaux sociaux, les forums sont extrêmement précieux, car, dans leur véhémence, leur absence de filtres, ils permettent d’avoir une vision souvent alternative, et très précieuse pour avancer.
•Il faut aussi savoir faire appel à des tiers qui ne seront pas dans une relation de vassal et qui n’auront rien à perdre à être dans l’interpellation. On peut se rappeler que, comme antidote au phénomène de cour, il y avait le « fou du roi » qui était une personne instruite, formée à l’interpellation car les risques de la profession étaient à la mesure de ses enjeux : ne pas laisser le roi dans ses certitudes.
•La quatrième clé, la plus importante est créer la confiance : sans elle, aucun collaborateur ne s’exprimera et on ne peut fonder du management sur de la crainte ou de la soumission.
Ne pas laisser le dirigeant s’enfermer dans sa tour d’ivoire, ou mal s’entourer, est un facteur clé de succès de la performance stratégique et managériale.
Diverger, contester, discuter, argumenter sont des enjeux très forts. Il reste alors au dirigeant d’arbitrer, non pas en faveur de l’un ou de l’autre mais sur ce socle commun, construit dans les débats et les échanges. Moins simple et moins confortable, mais certainement plus créateur de valeur à long terme.
Publié le mercredi 05 septembre 2018 . 5 min. 03
Les dernières vidéos
Management et RH
Les dernières vidéos
d'Isabelle Barth



LES + RÉCENTES


LES INCONTOURNABLES



