Le langage des spécialistes du brevet d’invention vous paraît bien éloigné du vôtre. Faut-il des revendications larges ou précises ? Est-il pertinent d’utiliser la procédure PCT pour ce brevet ? Quand il ne devient pas étrange avec leurs thickets, leurs pools et même leurs trolls… Par ailleurs, vous voyez bien les coûts liés aux dépôts, aux extensions et au maintien en vigueur des brevets mais vous avez du mal à en chiffrer les bénéfices.
Il est alors tentant de considérer les brevets comme un mal nécessaire. Les concurrents en déposent alors il faut bien en déposer aussi…
Je suis conscient de caricaturer un peu mais suis-je vraiment si loin de la réalité ?
Pourtant, quand Technicolor parvient à capter plus de 400 millions d’euros de redevances sur brevets par an ou quand un consortium composé d'Apple, Microsoft, BlackBerry, Sony et Ericsson parvient à acquérir les 6 000 brevets de Nortel au nez et à la barbe de Google pour la modique somme de… 4,5 milliards de dollars, on ne peut pas rester indifférent. Oui, il s’agit de records, donc de cas particuliers, mais ils constituent aussi les indices d’une réalité bien présente. Dans une économie de la connaissance, qui pourrait penser que les brevets d’invention vont jouer un rôle négligeable ?
Dès lors, il devient indispensable d’articuler sa stratégie brevet à la stratégie générale de l’entreprise. C’est d’autant plus vrai que ce dernier peut être utilisé de diverses manières. Son rôle est loin de se limiter à essayer de se protéger contre l’imitation. Des enquêtes comme le baromètre de la PI du cabinet Lavoix le montrent bien. Le brevet doit donc être considéré comme un outil au service de la stratégie de l’entreprise.
Ainsi, une entreprise qui vend des produits dont la valeur repose avant tout sur l’originalité des technologies embarquées mettra l’accent sur la protection contre l’imitation. Elle ne lésinera ni sur le nombre de brevets nécessaires pour dresser une muraille efficace, ni sur l’extension de ces brevets à tous les marchés importants. Elle tentera d’identifier au plus tôt d’éventuelles contrefaçons et prendra toutes les mesures nécessaires pour les faire cesser. Tout cela implique évidemment un budget conséquent et la structuration d’un service interne de taille significative. Le cas le plus typique d’une telle configuration est celui des laboratoires pharmaceutiques.
Mais il est à noter que certaines entreprises dans ce secteur, en particulier beaucoup d’entreprises spécialisées dans les biotechnologies, ont choisi un business model différent. Elles ne produisent ni ne commercialisent elles-mêmes les médicaments. Elles vivent des royalties versées par les laboratoires qui s’en chargent.
Dans un tel cas, évidemment pas limité à ce secteur, la configuration est assez proche du premier. Pour pouvoir commercialiser les droits sur un brevet ou un cluster de brevets, la première condition est en effet de les faire respecter. Une petite nuance intéressante toutefois : le traitement de la contrefaçon n’est pas tout à fait le même. Le but n’est plus de prévenir la moindre contrefaçon mais d’identifier en premier lieu celles qui concernent des produits déjà commercialisés et connaissant un certain succès. Le but n’est plus de faire interdire la commercialisation du produit mais bien de négocier des licences en position de force. A noter aussi, dans certains domaines, le lien fort à établir avec les instances de normalisation.
Pour la majorité des entreprises, la valeur ajoutée directement liée aux technologies propriétaires ne représente pas la partie la plus importante de la valeur de leurs produits. Par ailleurs, les brevets sont parfois difficiles à faire respecter. Dans ces cas-là, cela ne veut pas dire qu’ils deviennent inutiles. Le but principal est alors de préserver sa liberté d’exploitation. Que ce soit par l’effet de dissuasion lié à la possession d’un portefeuille de brevets important (si on m’attaque, j’ai la possibilité de répliquer), par la possibilité de négocier des accords de licences croisées ou tout simplement parce que déposer des brevets dans un domaine réduit d’autant la portée des brevets déposés par d’autres entreprises, il a aussi cette fonction. Si le nombre de brevets déposés compte, on peut alors être nettement plus mesuré sur leur extension à l’international. Le budget est donc plus faible et la gestion des brevets peut se trouver plus loin des centres de décision stratégique. Mais attention, il reste important de bien connecter les stratégies de dépôt et la stratégie d’internationalisation de l’entreprise, par exemple.
Enfin, nous ne pouvons pas rentrer dans toutes les subtilités de l’utilisation des brevets dans cette courte vidéo mais d’autres entreprises peuvent attacher de l’importance à d’autres fonctions comme la motivation des inventeurs, le signal de compétences envoyé aux partenaires potentiels ou plus globalement l’image d’innovateur qui y est associée. Pour une start-up, par exemple, c’est un moyen de montrer ses capacités technologiques à des partenaires industriels potentiels mais aussi aux investisseurs.
Alors oui, aujourd’hui, le monde du brevet et celui de la stratégie sont encore deux univers bien différents. Mais les managers ont tout à gagner à les rapprocher.
Publié le mardi 14 juin 2016 . 5 min. 58
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